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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/682

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l’avenir nous promet M. Faure, et nous pouvons dès à présent espérer de revoir pendant quelques mois, mais à l’état de virtuose voyageur, notre baryton d’autrefois. Ce qui fut jadis l’ordinaire devient l’exception, et plus que jamais nous voici menacés du règne des étoiles, — système détestable en tout état de cause, et qui, si nous souffrons qu’il s’établisse, aura bientôt fait d’enlever à notre première scène lyrique déjà si déchue son dernier reste de prestige. C’était bon, les étoiles, aux temps où nous avions une troupe d’ensemble bien constituée ; alors, tandis que d’autres tenaient de pied ferme le répertoire, l’astre Nilsson décrivait sa parabole scintillante, sans dommage dans la perspective. Désormais ces sortes de fantaisies ne nous sont plus permises, nous devons concentrer nos efforts et non les éparpiller, nous devons surtout nous appliquer avec suite. Vous montez un opéra, vous avez mis la main sur un succès, quand un matin les journaux annoncent à grand fracas l’arrivée du virtuose ambulant. Soudain tout s’interrompt, se désorganise : théâtre et public sont jetés pendant trois mois hors de leurs habitudes, et l’exhibition, même réussissant, ne passe qu’en créant le vide. Mieux vaut se constituer un bon ménage et n’en pas sortir. Si c’est là ce que l’administration nouvelle de l’Opéra se propose, qu’elle le dise, que nous sachions enfin et sur quelles partitions et sur quels chanteurs on compte s’appuyer. C’est déjà trop de temps de perdu : le vote de la subvention devrait avoir mis fin au provisoire. Le public commence à s’étonner un peu de voir, après comme avant, les choses aller du même train. On nous avait d’abord parlé d’une Jeanne d’Arc de M. Mermet, l’auteur de Roland à Roncevaux, la question, pour le moment du moins, semble écartée. Jeanne d’Arc est un sujet presque impossible dans la circonstance : tant de patriotisme effraie les susceptibles ; accentuer la note belliqueuse, chanter la délivrance serait hors de saison alors qu’une partie du territoire reste occupée. Ajoutons que le drame musical de M. Mermet se termine par toutes les pompes d’un couronnement. La trompette guerrière d’une part, de l’autre ce dauphin par la grâce de Dieu qui se fait sacrer dans la cathédrale de Reims, c’était assurément plus de raisons qu’il n’en fallait pour rendre la chose impraticable et mettre hors de cause dans le présent ce qui, nous l’espérons bien, sera la musique de l’avenir, — tandis qu’avec la Coupe du roi de Thulé, à la bonne heure ! Un tel sujet, au moins, ne nous menace d’aucun conflit.

Es war ein Kœnig in Thule.


C’est d’une actualité tout allemande et d’un à-propos plein de goût ! Les jours où l’Opéra ne donnera point Faust, il jouera la Coupe du roi de Thulé. Il n’y a que nous au monde pour bien savoir faire les choses. D’autres se fâcheraient tout rouge, s’il nous prenait fantaisie d’évoquer