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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/822

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l’humidité, les insectes ; elle n’avait pas prévu les bibliophiles ! Ils s’abattirent sur cette curée. Un fin connaisseur, d’Ambreville, avait été autorisé à faire pour les bibliothèques un choix dans le dépôt dit Culture Sainte-Catherine. Il fut accusé de l’avoir fait pour lui, de s’être composé une bibliothèque de superbes volumes, magnifiquement reliés. Sans doute, on ne saurait donner le nom de vandales à ces amateurs distingués et instruits, mais peu scrupuleux, ni même à ces spéculateurs qui firent des fortunes en achetant et en revendant des livres et des objets d’art ; ces dispersions des collections importantes, ces achats clandestins qui dépouillaient la France de vrais trésors, n’en constituent pas moins une variété de vandalisme. On cite dès 1791 beaucoup de livres dérobés dans les anciens monastères de Saint-Jean de Laon, de Saint-Faron de Meaux, vendus à Paris, à l’hôtel de Bullion, d’après un catalogue supposé d’un certain abbé pour écarter les soupçons. Les malversations, les friponneries dénoncées par ces documens, purent être pratiquées sur une large échelle dans beaucoup de localités où les volumes étaient accumulés par grande masse. D’adroits voleurs dépareillaient les ouvrages, les rachetaient incomplets presque pour rien, les recomposaient ; on faisait subir le même traitement aux machines, instrumens de physique ; on achetait séparément les pièces à vil prix, on en reformait l’ensemble pour le revendre cher au bon moment. Et, chose plus grave, n’y eut-il pas un vandalisme officiel ? Ce ne serait pas du vandalisme, le décret par lequel la législature avait ordonné, le 19 juin 1792, que tous les titres de noblesse existant dans les dépôts publics seraient brûlés ! Et l’homme qui proposa et fit adopter cette résolution, dont la conséquence fut la destruction de nombre de pièces importantes pour l’histoire, était qui ? un savant de premier ordre, un philosophe poussant l’enthousiasme des lumières et de la civilisation jusqu’aux limites de l’utopie, qu’il a franchies plus d’une fois, l’auteur du Tableau des progrès de l’esprit humain, Condorcet lui-même ! À l’auto-da-fé d’un grand nombre de ces pièces qui furent brûlées, au milieu des transports de joie, dans beaucoup de localités où existaient des archives, s’en joignit un autre également regrettable. Ordre était donné, le 19 août 1792, de brûler aussi les pièces des ci-devant chambres des comptes, remontant à plus de trente ans, et tous les titres relatifs aux droits seigneuriaux. On voulait couper court à tout retour au privilège : mesure aussi peu efficace à ce point de vue qu’elle était désastreuse sous le rapport de l’érudition et de la vraie science historique ! La convention, il faut le reconnaître, mit dans cette affaire plus de modération et d’intelligence que l’assemblée législative. On doit ici encore savoir un gré particulier à ces comités spéciaux qui, en consacrant le