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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/849

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une robe blanche, assise sur de petits rochers groupés comme un tas de pavés, et tenant un rameau vert, mais d’une verdure séraphique, au bout d’un long bras démesuré et maigre comme un morceau de bois. Ce n’est même pas un squelette, car un squelette a des os qui ont une forme : c’est un de ces mannequins faits avec des bâtons qu’on habille avec quelques chiffons, et qui servent à effrayer les oiseaux dans les champs. Tout autour d’elle s’étend un paysage très pierreux et très symbolique, parsemé de chardons et de rochers ; dans un coin s’élève un petit tertre bien régulier et planté tout du long d’une rangée de petites croix en bois noir. Au bout de cette plaine grise, figurant sans doute la vallée de larmes où nous vivons, un horizon de montagnes bleues sous un ciel groseille représente évidemment la Jérusalem céleste, la terre promise à l’espérance et à la foi. Pour être la dupe des grandes pensées de M. Puvis de Chavannes, il faut un degré de naïveté bien rare, et que lui-même ne possède pas, du moins je le suppose, quand il ne s’agit plus de ses propres œuvres. On sait en effet que cet artiste est un des membres ordinaires du jury de peinture, et j’aime à croire que, pour lui comme pour nous, la critique et l’art sont deux choses différentes.

L’Épisode de l’éruption du Vésuve, de M. Thirion, est une œuvre théâtrale, inspirée évidemment des grandes compositions de Nicolas Poussin, mais se rapprochant peut-être un peu, par l’effet mélodramatique, des fantaisies barbares de M. Gustave Doré. La scène se passe à Herculanum, au moment où les vapeurs volcaniques asphyxient les habitans sans leur laisser le temps de fuir. Au pied des portiques de marbre, dans un lugubre crépuscule éclairé à l’horizon par les lueurs rouges de l’éruption, les malheureux habitans se débattent au milieu des convulsions de l’agonie. La rue est semée de cadavres. Deux figures se jettent dans les bras l’une de l’autre et s’étreignent avec la frénésie de la souffrance et du désespoir. A droite, une jeune femme blonde, d’un joli dessin, se colle contre la muraille en élevant ses mains crispées, vers le ciel ; à gauche, sur le devant, un mourant couché par terre tient encore d’une main ses trésors, qu’il essayait d’emporter dans sa fuite. L’ensemble est d’un grand effet tragique et n’a rien de vulgaire. Nous recommanderons seulement à M. Thirion de ne pas cercler de noir ses figures ; nous lui recommanderons aussi de se rapprocher de plus en plus du Poussin et d’éviter désormais toute ressemblance avec M. Gustave Doré.

Il serait impertinent dépasser devant le Damoclès de M. Couture sans en dire au moins un mot ; mais faut-il tout pardonner à un artiste parce qu’il porte un nom célèbre ? n’est-ce pas au contraire