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et occupé les situations les plus considérables : ce n’était pas à l’échoppe qu’allait les chercher la confiance de leurs concitoyens, c’était dans l’armée, dans la diplomatie, dans la plus haute magistrature. Le peuple américain, éminemment logique, ne va point prendre, pour faire ses lois, des charpentiers, pour construire ses demeures des hommes de loi. Le premier magistrat de la république, ainsi qu’on le nomme, le premier serviteur du peuple, ainsi qu’il a la hauteur de se nommer lui-même, est donc toujours un homme éminent à un degré quelconque. Il est à noter qu’une supériorité relative est plus avantageuse au candidat présidentiel qu’une supériorité absolue : la démocratie américaine, soit par instinct, soit par raisonnement, n’a pas les enthousiasmes et les abandons d’elle-même de la démocratie française ; le candidat à la présidence, s’il s’est montré orateur entraînant, politique habile et actif manœuvrier, s’il s’est acquis une popularité trop générale, peut, une fois au pouvoir, s’affranchir de la tutelle du parti qui le lui a confié et lui imposer sa propre politique. La renommée de l’homme illustre plaît aux masses, qui s’approprient son illustration ; — sa personnalité leur porte ombrage. Les Américains rendent à leurs grands hommes vivans les hommages les plus éclatans, ils les accablent en toute occasion d’ovations passionnées, mais ils ne les nomment pas présidens de la république. Aux élections préparatoires (conventions) dans lesquelles tous les quatre ans sont décidées les élections présidentielles, les délégués des états qui les composent ont la coutume traditionnelle d’inscrire par courtoisie sur leurs bulletins le nom de l’homme populaire du moment, tout en ayant soin de ne pas laisser leurs votes arriver au chiffre qui assurerait son élection. Pendant ce temps, les meneurs de la majorité se sont abouchés avec le candidat dont à l’avance ils ont fait choix pour fixer avec lui le programme de la nouvelle administration et la répartition des emplois fédéraux au prorata des votes acquis à son élection. Cela fait, les noms illustres disparaissent des bulletins pour faire place à un nom unique, celui du candidat qui a le plus sincèrement reconnu que, si le président devait régner, c’était son parti qui devait gouverner.

Ce n’est pas le politicien transfiguré en homme politique que fait comparaître sur la scène de Bâton-Rouge le moraliste américain, c’est le politicien suant sang et eau pour escalader le pouvoir. Chaque acteur de cette comédie est un politicien à un degré quelconque, depuis celui qui est chargé d’aller dans les cabarets faire boire l’électeur et marchander son vote jusqu’à celui que son habileté fait manœuvrer au milieu de la fange électorale sans se salir ni les bottes ni les gants. Deux amoureux, introduits dans la pièce pour servir non pas au dénoûment, mais simplement à la marche