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habitans des treize états de la Nouvelle-Angleterre, qui furent le noyau de ce même peuple.

Pour retrouver la république de Washington, celle des livres de M. de Tocqueville et des romans de mistress Beecher Stowe, il faut l’aller chercher dans l’histoire de son passé, laborieux à l’intérieur, fièrement réservé vis-à-vis de l’étranger, — histoire commencée à la guerre de l’indépendance pour finir à la guerre de la sécession en traversant la guerre du Mexique, de 1776 à 1862. Les Américains, après un siècle de labeurs, avaient acquis l’outillage producteur, manufacturier, commercial, monétaire, qui constitue la puissance des nations modernes, ils étaient virtuellement maîtres du continent nord-américain ; mais le Mexique, dans sa présomptueuse faiblesse, se refusait à reconnaître le fait accompli. Le peuple américain s’indigna de cette résistance ; 100,000 hommes s’en allèrent droit devant eux sans trop savoir où ils allaient, franchissant les obstacles, ouvrages de terre ou armées, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à Mexico. Là les Mexicains offrirent la dictature au général Scott, ou, à son choix, la présidence à vie ; celui-ci reçut de ses soldats, redevenus ses électeurs, l’ordre de refuser. Ils pouvaient tout prendre ; ils se contentèrent d’acheter, moyennant 50 millions de francs qu’ils se réservaient de payer à ceux de leurs concitoyens qu’aurait lésés la guerre, la Californie, la Sonora et la route pour s’y rendre, route large de cent lieues et longue de six cents.

Ils étaient partis miliciens, ils revinrent soldats. C’était en 1847. Le militarisme entra comme élément dans les mœurs des Américains, qui à partir de cette époque se livrèrent au perfectionnement et à l’invention des armes de précision. Ils étudièrent la grande guerre au moyen de commissions militaires qu’ils envoyèrent en Europe, partout où l’on se battait et jusque dans les deux camps des belligérans. Quand ils eurent connu l’art de s’entre-tuer, n’ayant pas de voisins à qui l’appliquer, ils se battirent entre eux. Les états du sud, qui depuis l’annexion du Texas, de la Californie et des territoires sur l’Océan-Pacifique s’étaient trouvés le centre de la confédération nord-américaine au lieu d’en être la limite extrême, voulurent profiter des accroissemens de territoire qui doublaient leur influence pour assurer la prépondérance politique que jusque-là le nord leur avait abandonnée en échange de la prépondérance industrielle et mercantile. Passé une certaine limite, les territoires acquis ne pouvaient recevoir que des travailleurs libres : les hommes du sud y envoyèrent des noirs. Les états du nord répondirent à cette agression politique par une agression sociale : ils encouragèrent partout dans le sud la fuite des noirs, et, contrairement à la loi fédérale, se refusèrent à leur extradition. À cette époque finissait la dernière présidence de compromis, celle de M. Buchanan. M. Lincoln fut