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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/144

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sainte Geneviève, que je n’ai pas vus sans attendrissement, car je n’ai pu m’empêcher de remarquer qu’elle avait donné une expression bien douloureuse à la sainte grande dame, tandis que la santé et la lumière de la joie brillaient au contraire sur le visage de la fileuse aux pieds nus. Celle qui peignit ces figures repose maintenant dans la chapelle funèbre que M. de Lamartine avait fait élever à la mémoire de sa fille, et dont le fronton porte cette inscription tirée de l’Écriture, qui pourrait servir d’épigraphe à toute vie humaine, car elle ressemble à une phrase qui attend sa conclusion : Speravit anima mea, mon âme espéra. Sa statue funèbre, œuvre de M. Adam Salomon, reproduit avec bonheur cette douceur invariable, et pour ainsi dire ce mélancolique équilibre de résignation que lui ont connu ceux qui l’ont approchée dans les dernières années de sa vie. Sur le socle de la statue est écrite au crayon cette inscription qui attend encore d’y être gravée, inscription dont nos lecteurs comprendront sans doute l’attristante profondeur et la. trop certaine vérité : « Il est plus doux de partager les douleurs des grands hommes que leurs triomphes, car leurs triomphes appartiennent à tout le monde, tandis que leurs douleurs n’appartiennent qu’à ceux qui les aiment. »

Et maintenant, poètes et hommes illustres qui croyez que votre gloire couvre vos faiblesses, écoutez la leçon de morale qui sort de la petite aventure que voici. Un piédestal qui attend son monument se dresse à l’entrée d’une petite place du village de Milly, en face même de la maison du poète. Qu’est-ce donc là ? demandai-je, — C’est, me répondit-on, le socle de la statue de M. de Lamartine. — Cette statue n’est donc pas faite encore ? — Pardon, elle est terminée depuis un an ; il est dommage que la maison soit fermée maintenant, car vous auriez pu l’y voir. — Eh bien ! si elle est terminée depuis si longtemps, pourquoi donc ne l’érige-t-on pas ? — À ces mots, un vieux paysan, au visage pointu, tenant à la fois de la belette suceuse d’œufs et du procureur rongeur d’héritages, s’approcha et me dit avec une sécheresse de papier timbré dont rien ne peut rendre la froide netteté : « Les affaires ne sont pas réglées, Lamartine doit encore, il doit aux vignerons, aux fermiers, et l’on attend que tout soit fini, parce qu’on ne veut pas élever une statue à un homme qui doit (sic). » Irrité par l’apparition de ce moraliste intempestif, je n’ai pu cette fois m’empêcher de répondre : « En ce cas, il était bien plus simple de ne pas ériger de piédestal, d’autant mieux que M. de Lamartine peut se passer de statue. » Je suis parti sur ces mots, mais à ce moment je me sentais capable de faire un discours misanthropique à l’égal de ceux du Timon d’Athènes de Shakspeare. « Il fut prodigue avec excès, avec folie, cela n’est que trop vrai, aurais-je voulu dire, mais est-ce à