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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/15

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Au moment où l’invasion arrivait devant Paris au 19 septembre, elle ne pouvait songer à s’étendre sur-le-champ, à dépasser l’aire stratégique déjà fort étendue qu’elle occupait. Elle avait besoin de régulariser, de garantir ses communications, peu menacées, il est vrai, mais gênées par quelques places dont elle n’avait pu avoir raison du premier coup. Elle ne disposait pas d’ailleurs de toutes ses forces. Elle était provisoirement obligée de laisser autour de Metz plus de 200,000 hommes pour garder Bazaine et son armée. Strasbourg et les places de l’Alsace retenaient plusieurs divisions. Que la zone d’occupation dût s’étendre à mesure que la guerre se prolongerait, c’était surtout l’affaire des circonstances ; les chefs de l’état-major prussien y étaient préparés, et ils ne doutaient point assurément de pouvoir faire face à toutes les entreprises qui s’imposeraient à eux lorsqu’ils auraient retrouvé la libre disposition de leurs forces. Ils se proposaient ce jour-là d’aller enlever Amiens et -de faire de cette place le pivot des opérations nouvelles qu’ils entreprendraient, qu’ils pourraient diriger alternativement, d’un côté vers le nord s’il y avait quelque apparence d’armée française, d’un autre côté vers Rouen, la basse Seine et la mer. Pour le moment, on ne pouvait aller jusque-là.

La première préoccupation des chefs prussiens était de mettre à l’abri de toute menace l’investissement de Paris, d’assurer leurs communications, qui devenaient définitivement libres à partir du 15 octobre par la chute de Soissons, de s’organiser enfin de façon à vivre sur le pays conquis, en tirant des contrées environnantes tout ce qu’on pourrait, fût-ce par les plus impitoyables rigueurs de la guerre. Du côté du sud, sur la rive gauche de la Seine, l’état-major allemand à peine établi à Versailles s’était immédiatement occupé, on le sait, d’envoyer des forces dans la direction d’Orléans en même temps que vers Chartres et vers l’Eure. Du côté du nord, sur la rive droite, le général comte de Lippe était avec une division de cavalerie sur la ligne de Senlis, Clermont et Beauvais, couvrant les magasins créés à Chantilly. Le prince Albrecht de Prusse, le fils du vieux prince Albrecht qui vient de mourir, était avec un régiment de uhlans, quelques bataillons d’infanterie et de l’artillerie, à Pontoise et à Beaumont, observant la route de la Normandie. Ces éclaireurs de l’invasion avaient certes fort peu à faire pour conquérir ou pour garder leurs positions ; ils avaient tout au plus à craindre quelques échauffourées tentées avec plus de bonne volonté que de succès par des détachemens informes de mobiles ou par des bandes de francs-tireurs dispersées autour de Paris. C’était en définitive une période d’établissement pour l’armée allemande, de réorganisation confuse pour la France atterrée et foulée par la conquête.