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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/153

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est souvent une hypothèse philosophique au un dogme théologique, bases fragiles qui ne résistent ni à l’observation quant aux faits, ni à l’expérimentation quant aux phénomènes. Les généralisations de Lamarck sur la géologie et la météorologie, sciences naissant à peine à l’époque où il écrivait, ont un autre vice radical : elles sont prématurées. Toute science doit commencer par la connaissance des faits et des phénomènes particuliers ; quand ceux-ci sont assez nombreux, les généralisations partielles deviennent possibles ; elles s’agrandissent à mesure que la base s’élargit, mais les systèmes ayant la prétention d’être absolus et définitifs ne le seront jamais, car ils supposent que tous les faits, tous les phénomènes, sont connus : synthèse impossible, quelle que soit la durée de l’humanité. C’est là le défaut de l’Hydrogéologie de Lamarck. Au commencement du siècle, la géologie n’existait pas ; on observait peu, on faisait des systèmes embrassant le globe tout entier. Lamarck fit le sien en 1802, et vingt-trois ans plus tard l’esprit judicieux de Cuvier cédait encore à cet entraînement en publiant son discours Sur les révolutions du globe. Le mérite de Lamarck est d’avoir compris qu’il n’y avait point eu de révolutions en géologie, car des actions lentes mille fois séculaires rendent compte beaucoup mieux que des perturbations violentes des prodigieux changemens dont notre planète a été le théâtre. « Pour la nature, dit Lamarck, le temps n’est rien, et n’est jamais une difficulté : elle l’a toujours à sa disposition, et c’est pour elle un moyen sans bornes avec lequel elle fait les plus grandes choses comme les moindres. » Le premier, il distingua[1] les fossiles littoraux des fossiles pélagiens ; mais personne aujourd’hui ne saurait accepter son idée que les mers se creusent par l’action des marées, et se déplacent à la surface de la terre sans que le niveau relatif des différens points de cette surface ait changé. En présence des faits connus, il est impossible d’attribuer l’origine de toutes les vallées au creusement des eaux. Autant les déductions de Lamarck ont été judicieuses et souvent prophétiques dans la science des êtres organisés, qu’il connaissait si bien, autant elles sont aventureuses, hasardées et démenties par l’avenir dans les sciences qui lui étaient étrangères : comme les métaphysiciens, il construisait des édifices en l’air, et, comme les leurs, les siens se sont écroulés faute de base.

Achevons la biographie de Lamarck. Fixé dans ses irrésolutions scientifiques par sa chaire du Muséum et le devoir de classer les collections, il se livra tout entier à ce double travail. En 1802, il publia ses Considérations sur l’organisation des corps vivans, en 1809 sa Philosophie zoologigue, développement des Considérations, et de

  1. Hydrogéologie, p. 72.