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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/207

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de collaborateurs que nous connaissons de poètes, d’orateurs et d’historiens sous son règne. Cependant, dès qu’on s’approche d’un peu plus près, sous ce bel accord on découvre beaucoup de dissonances. Il se trouve que ces collaborateurs empressés de l’empereur, ces défenseurs zélés de la religion et de la morale se sont souvent démentis dans leurs livres et dans leur conduite. Auguste lui-même n’avait pas assez bien vécu pour s’attribuer le droit de réformer les mœurs publiques. Sans parler des débuts sanglans de son règne, Dion nous apprend qu’au moment même où il publiait ses premières lois contre l’adultère il était amoureux de la femme de Mécène, la gracieuse Térentia, et « qu’il la faisait de temps en temps disputer de beauté avec Livie. » Ce moraliste si rigoureux pour les autres conserva longtemps pour lui le goût des débauches secrètes. On sait que des litières fermées amenaient des femmes au Palatin, et que ce mystère n’était pas tout à fait ignoré du public, puisqu’un philosophe se glissa un jour dans une de ces litières pour venir faire des remontrances au prince libertin. La plupart de ceux qui servaient les desseins d’Auguste n’étaient guère plus autorisés que lui à enseigner le respect des dieux et l’amour de la vertu. Il n’y avait pas de sybarite plus efféminé que ce Mécène, qui se chargeait d’inspirer aux poètes la résolution de chanter le bonheur champêtre et les charmes de l’antique simplicité. Parmi les écrivains qui célébraient avec le plus d’effusion les lois morales et les institutions religieuses de l’empereur, il s’en trouvait beaucoup dont la vie avait été fort légère, et que rien ne préparait à la mission grave dont ils se chargeaient avec un empressement si étrange. Ovide, en composant ses Fastes, éprouve une sorte d’étonnement naïf du sujet nouveau de ses chants. Il rappelle qu’avant de célébrer les dieux et leur culte il avait chanté ses amours. « Qui pouvait croire, dit-il, que par ce chemin j’en arriverais où je suis ? » De là les incohérences qu’on remarque dans les doctrines et la conduite des écrivains de ce siècle, ce mélange surprenant de scepticisme et de foi, ces sévérités de principes tempérées par d’étranges complaisances dans la pratique, et ce sourire d’ironie qui se glisse souvent jusqu’au milieu de l’enthousiasme le plus vif. Ces contradictions diminuaient beaucoup l’autorité de leurs conseils ; ils ne pouvaient pas avoir ces accens du cœur qui partent de la conviction personnelle et qui la communiquent, et les malins, qui s’apercevaient qu’ils étaient plus croyans dans leurs livres que dans leur vie, devaient les accuser de n’être pas sincères, de se prêter par politique ou par ambition aux projets de l’empereur.

Virgile seul échappait à ces reproches. Aucun écrivain n’a servi avec plus de zèle et surtout avec plus de sincérité les desseins d’Auguste, aucun ne lui fut plus utile pour transmettre à ses