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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/251

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deux siècles les arméniens maritimes, car les derniers Carlovingiens ne pouvaient songer à construire des flottes quand il ne leur restait pas même, comme le disait Louis V à la diète d’Ingelheim, un coin de terre pour abriter leur famille. Les seigneurs n’y songeaient pas davantage et ceux qui vivaient au bord de la mer se bornaient à prélever de lourds tributs sur les bateaux de pêche, à s’approprier, en vertu du droit de lagan, les navires étrangers que la tempête poussait sur les rivages de leurs fiefs, et à rançonner les naufragés, qui étaient assimilés aux prisonniers de guerre.

L’Italie, qui faisait le transit du commerce de l’Orient, et qui apportait en Europe les denrées que les caravanes venaient entreposer sur les côtes de la Syrie, avait seule aux Xe, XIe et XIIe siècles, des matelots et des flottes. C’est de Gênes, de Venise et des ports de l’Adriatique que partirent les premiers convois qui transportèrent les croisés en Orient-mais, lorsque les Capétiens, en reculant par des annexions successives les limites du duché de France, eurent étendu le royaume jusqu’aux deux mers, ils reconnurent la nécessité de prendre possession de l’élément qui ouvrait à leur puissance une nouvelle carrière. En 1213 Philippe-Auguste réunit 1,700 voiles sur les côtes de Flandre pour menacer l’Angleterre d’un débarquement. Saint Louis fit creuser le port d’Aigues-Mortes, et c’est de là qu’il appareilla lors de sa première expédition en terre-sainte, avec des navires génois et français. En 1304, les Flamands furent battus à Ziriksée. Philippe de Valois et Charles V livrèrent aux Anglais plusieurs batailles navales, mais à cette date, la marine militaire n’était point encore organisée comme une institution permanente. Lorsque les rois de France voulaient entreprendre une expédition, ils réquisitionnaient les navires marchands du royaume, ou prenaient à leur solde des navires étrangers. L’expédition terminée, ils les congédiaient, comme ils congédiaient les routiers, les lansquenets et les suisses de l’armée de terre, pour éviter de les payer, et il faut attendre jusqu’au règne de François Ier pour trouver les élémens d’une marine royale dans l’acception moderne du mot. Cette marine commençait à se développer et semblait appelée à rendre de grands services au moment même où les guerres de religion vinrent en interrompre les progrès et laisser la domination des mers à la Hollande, à l’Espagne et à l’Angleterre. Henri IV, dont la prévoyance s’étendait sur toutes les branches du gouvernement, s’occupait de la reconstituer, lorsque le couteau de Ravaillac mit à néant les grands desseins qu’il avait formés pour assurer la prépondérance française en Europe et dans le Nouveau-Monde. Sully, qui était resté ministre et grand-maître de l’artillerie, voulut en poursuivre l’accomplissement, du moins pour tout ce qui touchait à l’accroissement des forces du royaume, au commerce et à l’agriculture, mais il dut se retirer devant les intrigues des courtisans et l’hostilité de la reine-mère, à laquelle il avait refusé d’ouvrir un crédit de 900,000 livres.