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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/271

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contredit le premier, celui où il se demande : sommes-nous encore chrétiens ?

La question en effet ne se pose pas pour un docteur en théologie comme pour un écrivain ordinaire. Il est censé savoir pertinemment ce dont il parle. Qu’un philosophe, étranger à toute étude approfondie du dogme et de l’église, tranche tout bonnement la question en montrant qu’aucun des credos officiellement en vigueur dans les différentes églises chrétiennes ne peut tenir contre les objections de la raison moderne, cette manière commode d’esquiver une discussion difficile se comprend et, jusque un certain point, s’excuse ; mais le docteur Strauss, l’auteur de la Vie de Jésus, peut-il se contenter à si peu de frais ? Il est aujourd’hui bien des manières d’être chrétien, et il doit le savoir. On peut l’être par exemple sans convictions bien arrêtées, uniquement par sympathie pour la religion en général et pour la forme historique la plus pure qu’elle ait revêtue dans l’humanité. On peut l’être d’une façon qui ne permet pas de se rattacher à l’une quelconque des églises actuelles, et d’ailleurs il n’est pas d’idée plus fausse que celle qui identifie la notion de christianisme avec celle d’église. On peut être chrétien tout en pensant qu’il ne devrait y avoir aucun culte organisé. On peut l’être même sans le savoir, en s’imaginant qu’on ne l’est pas et en rappelant à ceux qui s’y connaissent mieux cette parole de Jésus, d’après laquelle on peut « parler contre le fils de l’homme, » et cependant ne pas s’opposer sciemment à l’esprit divin. On peut l’être enfin en adhérant soit par le fait de l’éducation, soit par choix délibéré, à l’une des sociétés chrétiennes existantes qu’on appelle des églises. Le christianisme de nos jours s’est manifesté sous une multitude de formes distinctes ; il est probable que leur nombre augmentera encore, et il faut y regarder à deux fois avant d’affirmer qu’une personne ou une doctrine ne peuvent plus passer pour chrétiennes. Que doit donc faire le penseur, le critique, l’historien, qui ne consent pas d’autre part à se payer de mots et qui veut savoir ce qui constitue essentiellement le chrétien, ce qui fait qu’on l’est ou qu’on ne l’est pas ?

La méthode à suivre peut être laborieuse, mais elle est clairement indiquée. Il faut remonter jusqu’à l’enseignement personnel de Jésus, en le dégageant de tout ce que la tradition a pu lui ajouter ou lui intercaler : M. Strauss sait parfaitement comment on doit s’y prendre. Puis, quand on est arrivé à résumer cet enseignement dans ses traits généraux, on ne va pas se butter contre tel ou tel point de détail qui pourrait être tout autre sans rien changer au fond, on saisit le principe essentiel qui commande, tout le reste et qui constitue l’originalité individuelle, le germe fécondant de cet