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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/500

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pensée sur ce statut nouveau qu’elle propose, il faut que le gouvernement s’explique ! Eh bien ! soit ; le gouvernement s’est expliqué. Une première fois, c’est M. Dufaure qui est monté à la tribune, et il a parlé avec ce nerf et cette sobriété vigoureuse qui donnent une si forte saveur à son éloquence. Il a interprété de la façon la plus simple, la plus judicieuse et la plus pratique l’œuvre qu’on avait à discuter, sans contester naturellement le droit souverain de l’assemblée, sans exagérer son pouvoir, sans dissimuler les nécessités de prudence conservatrice qui s’imposaient à tout le monde. La droite a été à demi satisfaite, la gauche a grondé sourdement, et puis, comme M. Dufaure n’avait parlé que de ce qui était en question, on s’est dit que cela ne pouvait suffire, qu’il fallait des explications nouvelles. Cette fois, c’est M. le président de la république qui s’est vu obligé d’intervenir, et qui n’en a pas été sans doute trop contrarié, quoiqu’il y ait gagné une indisposition, heureusement passagère. Pour les habiles tacticiens de la gauche, l’essentiel était d’agacer M. Thiers, de l’amener peut-être à désavouer indirectement M. Dufaure. C’était assez puéril de croire que, trois jours après des déclarations délibérées en conseil, le chef du gouvernement viendrait désavouer M. le garde des sceaux. M. Thiers n’a pas tout à fait exécuté le programme si discrètement insinué à sa sagesse. Il a parlé avec cette séduisante familiarité de bon sens et d’esprit qui ne manque jamais son effet, disant leurs vérités aux uns et aux autres, rudoyant d’une façon piquante et paternelle les prétentions ou les illusions des partis, effleurant les points les plus délicats avec une dextérité infinie, restant toujours néanmoins, comme M. Dufaure, sur le terrain de transaction défini et adopté en commun avec la commission des trente. M. le président de la république a résumé sa pensée sur la loi nouvelle en disant que c’était toujours le pacte de Bordeaux continué et un peu étendu dans la mesure des circonstances. Pour le coup, ni la droite ni la gauche n’ont été entièrement satisfaites. Oui sans doute, s’est-on dit, M. Thiers est un habile homme, qui sait ce qu’il veut et qui nous éblouit en nous racontant des anecdotes ; il trompe tout le monde, ce n’est pas là ce qu’on attendait. Voilà à quoi servent les explications !

Décidément la clarté ne semblait guère venir, on feignait du moins de le croire ainsi dans les camps de tous les radicaux de gauche ou de droite, tandis qu’au contraire elle se faisait peu à peu et à demi pour tous les hommes sensés et modérés. Et pourquoi cette clarté n’apparaissait-elle pas aux esprits extrêmes ? À quoi tenait ce malentendu obstiné entre le gouvernement marchant d’accord avec la commission d’un côté, et les interpellateurs, les provocateurs d’explications d’un autre côté ? La raison est bien simple, c’est parce que dans cette œuvre des trente, torturée dans tous les sens et par tous les bouts, on cherchait ce qu’on ne pouvait trouver, ce qui n’y était pas. Ce qu’on cherchait, c’était ce qui pouvait flatter la droite ou la gauche, ce qui répondait à