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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/626

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et les concubinaires de leurs charges et dignités d’église. Hildebrand avait conservé un profond souvenir de cette légation, dont Pierre Damien nous a transmis quelques détails touchans et curieux qu’il tenait d’Hildebrand lui-même[1]. Baronius-Theiner, en ses Annales (1055, § 15), nous donne le récit complet de cette croisade réformiste, qui fut marquée par des prodiges, à laquelle le légat associa l’abbé de Cluny, son ancien supérieur, et qui fit au sous-diacre romain une immense réputation dans le monde chrétien. Victor II revint en Allemagne visiter l’empereur Henri III (1056), et s’y trouva à point nommé pour recevoir les derniers soupirs du monarque mourant à trente-neuf ans[2]. Le pape accompagna son cercueil à la cathédrale de Spire[3], fondée par Conrad II pour recevoir les sépultures impériales, et il mourut lui-même, jeune encore, l’an d’après (1057) en Toscane, après avoir régné deux ans et trois mois. Ces deux décès, presque simultanés, ont changé la face des choses dans l’empire et dans l’église.

Le tableau de l’état intérieur de l’Allemagne, qui termine notre première étude, explique la situation compromise où la fin prématurée d’Henri III a laissé la dynastie franconienne malgré les qualités éminentes de ce prince et les actes glorieux de son règne. L’influence qu’avait prise à cette époque le moine Hildebrand dans le gouvernement de l’église explique les événemens qui vont se développer après la mort d’Henri III. Ce dernier eût réformé l’église au profit de l’empire. De son vivant, l’œuvre de Grégoire VII était impossible ; ce n’eût été qu’une intrigue, au plus une conspiration. Henri III mort, Hildebrand était délivré d’un concurrent redoutable. C’était d’ailleurs dans un autre dessein que Grégoire VII devait agir, et l’occasion s’en présenta tout d’abord pour l’élection du successeur de Victor II. Hildebrand, le vrai directeur depuis plusieurs années de la papauté vacillante encore dans son allure de rénovation, était le promoteur d’une forte opinion romaine sur laquelle il s’appuyait, et qu’il avait su s’attacher[4] par la

  1. Voyez les Epistolœ de Pierre Damien, p. 23, édition de 1610.
  2. Quelques auteurs, Luden entre autres, font mourir Henri III à trente-trois ans ; c’est une erreur. Voyez Struve, Corp. hist. german., I, p. 302, et Stenzel, loc. cit.
  3. Les empereurs saxons ont été enterrés un peu partout : Henri Ier dans l’abbaye de Quedlinbourg, Otton Ier à Magdebourg, Ottou II à Rome, Otton III à Aix-la-Chapelle, Henri le Saint à Bamberg ; la dynastie franconienne tout entière a été ensevelie à Spire. Les cendres des Hohenstaufen ont été disséminées : Conrad III à Bamberg, Frédéric Ier à Tyr, Henri VI et Frédéric II à Palerme, Philippe à Spire, Conrad IV à Foggia, Conradin à Naples. Les deux premiers Habsburg, Rodolphe et Albert Ier, reposent aussi à Spire avec quelques autres empereurs.
  4. Omnem populum ad sequendum quidquid diceret promptissimum. Texte d’un contemporain dans Baronius-Theiner, XVII, p. 132.