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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/720

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Ce conseil vaut la peine qu’on le médite. De nos jours, un peuple qui veut vivre, se soutenir, s’élever, ne peut plus s’absorber dans ses affaires privées et s’en rapporter pour les choses du dehors à l’action de son gouvernement, à la vigilance de sa diplomatie. Tant que la direction politique des états a été renfermée dans un milieu social particulier, les diplomates ont suffi ; ils vivaient dans ce monde officiel, dans cette cour, dans ces salons où se concentrait l’activité politique de l’état. Aujourd’hui l’action est à la fois dans les cours, dans les cabinets, dans les assemblées, dans la presse : l’opinion publique en est le facteur principal. Il s’agit de suivre les innombrables courans qui la composent, d’en déterminer la direction et le mouvement. Les diplomates n’adressent leurs observations qu’aux gouvernemens, ceux-ci les lisent quelquefois, et n’en profitent pas toujours. C’est une raison de plus pour l’opinion publique de se tenir sur ses gardes. L’exercice de la liberté politique entraîne des devoirs difficiles ; le plus sérieux de tous est de veiller aux rapports de l’état avec les états voisins. Croit-on qu’en 1870, si l’opinion publique en France avait été mieux avertie, plus grave, plus pénétrée de sa responsabilité, l’incident Hohenzollern aurait abouti aux désastres que nous avons subis ? En droit, le ministère était responsable, les chambres toutes-puissantes, la presse libre. Il ne suffit pas de dire : L’empire a trompé le pays. Lorsque des hommes possèdent les moyens de tout savoir et de tout juger, on ne les trompe que s’ils sont frivoles ou ignorans. Il s’agissait alors de se heurter à tout un peuple en armes, d’enflammer des passions patriotiques, de faire éclater un orage qui s’amoncelait depuis des années, et que l’on ne voyait point par la seule raison qu’on ne le regardait pas. Il nous aurait fallu des journaux mieux renseignés, plus de voyageurs surtout ayant visité l’Allemagne et l’ayant décrite avec exactitude, il aurait fallu ce travail lent, insensible, persistant, cette étude de tous les jours, cette connaissance des faits qui s’infiltre dans les esprits et peut seule aux heures de crise arrêter l’élan des passions et donner à la raison le temps de se raffermir. Tout se tient et s’enchaîne en ces matières complexes. Si l’opinion publique avait été plus soucieuse des choses de l’étranger, si elle avait tenu à les juger autrement qu’avec ses instincts, ses rêves, ses réminiscences romanesques ou ses superstitions politiques, elle aurait exigé avant 1870 de meilleures informations de ses journaux ; les journaux les plus instructifs auraient été lus davantage ; les livres spéciaux, et il y en avait d’excellens, auraient été commentés partout ; on aurait voyagé, et on n’aurait pas été surpris sans défense.

La raison pour laquelle nos journaux sont si pauvres de renseignemens sur l’étranger, c’est que le public français y donne peu de