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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/732

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dans un moment critique. Il faut reconnaître que les Français, loin de pécher par témérité, ont au contraire peur de la responsabilité, préfèrent obéir à commander, ne connaissent d’autre droit que la force, et ne paraissent rien craindre tant que de s’opposer à un pouvoir établi ou naissant. On ne peut comprendre autrement les événemens les plus étonnans de l’histoire moderne de la France : le coup d’état, le 4 septembre, la commune et sa durée assez longue sous le joug terroriste de misérables tels que Rigault, Rochefort, Pyat, Grousset, Lullier. »


L’anarchie à l’état normal sous la forme de république ou à l’état latent sous la forme de dictature, telle semble être la conviction secrète ou, comme disait Sainte-Beuve, la « pensée de derrière » de la presse allemande sur notre avenir. Unie et puissante, monarchique et militaire, enrichie par ses victoires, disposant de la plus formidable armée de l’Europe, l’Allemagne assiste à la lutte que nous livrons contre nous-mêmes avec une curiosité ironique ; elle savoure le plaisir célébré par Lucrèce. Elle semble nous dire comme Méphistophélès au docteur Faust : « Je te laisse la satisfaction de te mentir à toi-même ; cela ne te durera pas longtemps. » En parcourant les notes recueillies dans les journaux allemands, on ne peut s’empêcher de songer à cette page si curieuse par laquelle Frédéric de Gentz termine son journal de 1814. Il suppute ses bénéfices de l’année : ils sont considérables ; il se tâte le pouls, et se trouve en parfaite santé ; sa considération a grandi, il a payé beaucoup de dettes, « complété et embelli son établissement. » Alors il se retourne vers le monde politique ; l’aspect en est lugubre, mais ce ne sont point ses affaires ; il ajoute aussitôt : « La connaissance intime de cette pitoyable marche et de tous ces êtres mesquins, loin de m’affliger, me sert d’amusement, et je jouis de ce spectacle comme si on le donnait exprès pour mes menus plaisirs. »


III

Ce que nous avons cité ne donnera pas une bien haute idée de l’urbanité de la presse allemande. Il semble possible de rassembler autant d’informations tout en pratiquant une critique moins étroite et des « mœurs oratoires » plus délicates. Nous avons cru qu’il était intéressant de signaler les jugemens les plus caractéristiques portés sur notre compte. Il ne faut prendre ces jugemens que pour ce qu’ils valent, et nous n’aurons pas l’ingénuité d’y attribuer plus d’importance que les Allemands ne le font eux-mêmes. Ils lisent avec application, ils aiment les journaux bien nourris de faits, mais