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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/746

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temens. Et voila pourquoi le traité du 15 mars, sans pouvoir effacer tous les maux de la guerre, sans changer les conditions impitoyables d’une paix dictée par la conquête, reste une œuvre de vigilante et patriotique réparation faite pour toucher la France en lui rendant le sentiment de sa force, en la faisant reparaître aux yeux de l’Europe et du monde comme la nation qui porte toujours en elle-même le secret des rajeunissemens imprévus.

M. Thiers a eu le mérite de ne se laisser détourner par rien dans cette œuvre poursuivie à travers toutes les diversions de la politique intérieure, de tout subordonner à cette considération essentielle et invariable de la libération du territoire. Depuis qu’il est au pouvoir, on le sent, il y a mis sa passion et son dévoûment, sa dextérité et son expérience. Quoi qu’il arrive maintenant, il reste, autant que cela était humainement possible, l’habile, l’ingénieux réparateur des désastres qu’il avait prévus sans pouvoir les épargner à la France. C’est son rôle dans l’histoire, dans cette phase de notre histoire, et si pendant ces deux ans il y a eu pour lui des devoirs douloureux à remplir, s’il y a eu plus d’une fois des obligations qui ont coûté à son patriotisme, il peut du moins se rendre cette justice, qu’il n’est pas responsable de ce qui a pu affliger la France. A ceux qui seraient tentés de l’accuser, il pourrait rappeler ce qu’il disait à la veille de la guerre, lorsqu’il essayait de retenir cette impétuosité aveugle qui se précipitait au combat : « Quant à moi, je suis tranquille pour ma mémoire, je suis sûr de ce qui lui est réservé pour l’acte auquel je me livre en ce moment ; pour vous, je suis certain qu’il y aura des jours où vous regretterez votre précipitation. » Une dernière compensation bien due à M. le président de la république pour sa prévoyance inutile et pour les pénibles obligations qui lui ont été imposées depuis, c’était de pouvoir signer la délivrance de nos provinces, ravagées par la guerre et demeurées temporairement aux mains de l’étranger. Il y a réussi, l’assemblée a déclaré qu’il avait « bien mérité de la patrie, » et elle a eu certes raison.

Malheureusement l’assemblée ou une partie de l’assemblée a craint de trop grandir M. Thiers, d’avoir l’air de lui décerner des « apothéoses, » comme l’a dit M. de Larochejaquelein, — et aussitôt elle s’est fait un devoir de s’adresser à elle-même les complimens les plus empressés en se déclarant « heureuse d’avoir accompli une partie essentielle de sa tâche. » Rien de mieux assurément, puisqu’il est bien clair que l’assemblée a sa part dans l’œuvre commune. Quel danger y avait-il cependant à éviter le ridicule de s’adresser des complimens à soi-même sur une négociation qu’on ne connaissait pas la veille ? Quel mal y avait-il à ne pas laisser percer de méticuleuses pensées d’antagonisme là où il n’y avait place que pour une entière et patriotique satisfaction, à faire simplement une démarche toute simple ? Ah ! Voilà