Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/756

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solennel dans les scènes du commencement. Quant à M. Bressant (Carnioli), il faut regretter que cet artiste si distingué joue ses rôles avec une indolence de plus en plus marquée.

Malgré les défauts trop visibles de l’interprétation actuelle, le drame de M. Octave Feuillet a été accueilli avec une faveur méritée. Ce beau et pur langage n’a point perdu son pouvoir de séduction sur un public habitué depuis des années à des mets plus épicés. Quelle distance à franchir pour passer de Dalila à cette Andréa, que M. Victorien Sardou vient de donner au Gymnase, maintenant qu’elle a fait sans accident le tour de l’Amérique ! Comme il nous faut brusquement quitter les hauteurs où habite l’idéal ! Et pourtant, à tout prendre, comme le disait un des critiques les plus fins de notre temps, « lorsqu’on peut laisser sommeiller son jugement, on y trouve quelque plaisir. » M. Sardou nous offre une succession de jolies scènes qui intéressent, pourvu qu’on ne se demande pas en quoi elles sont nécessaires à l’action, et qui donnent à de très bons acteurs l’occasion ou le prétexte de débiter un dialogue généralement fort spirituel qui est en harmonie parfaite avec le décor et les costumes. Dans Andréa d’ailleurs, le dialogue et les jeux de scène ne font pas tous les frais de la soirée. M. Sardou sert à son public blasé l’intérieur d’une loge de danseuse où l’on voit la célèbre Stella changer de costume et faire des ronds de jambe sous les yeux d’une rivale déguisée en couturière, dont le mari pendant ce temps monte la garde devant la porte fermée, — puis le cabinet d’un préfet de police où se succèdent à une heure avancée de la nuit les jolies visiteuses voilées qui viennent implorer la manus militaris, le bras séculier de l’autorité, — enfin une cellule de fou avec une douche d’eau froide qui part quand le locataire du lieu essaie d’ouvrir la porte pour s’échapper.

Avec tant d’élémens de succès, — n’oublions pas la scène où Andréa, conseillée par le spirituel préfet, emploie les grands moyens pour séduire son mari, véhémentement soupçonné de vouloir partir pour Bucharest en compagnie de la célèbre danseuse, — avec des élémens de succès si nombreux et si… solides, on ne saurait douter d’une longue série de représentations fructueuses. Mais l’intrigue ? demandez-vous. Voici Mme Fromentin en costume d’Espagnole rouge et or que son barnum américain va présenter à ses fanatiques dans un souper de deux cents couverts improvisé après la représentation d’adieu. Mais la logique ? Voici Mlle Pierson qui dans un frais et coquet déshabillé de soie rose va essayer le pouvoir de ses charmes sur son ingrat mari, dont la froideur impardonnable a presque révolté le public. Mais le dénoûment ? Voici le rideau qui tombe sur une réconciliation opérée, toujours à une heure avancée de la nuit, sur le seuil d’une chambre à coucher.

Si on laisse reposer son jugement, on peut en effet y prendre plaisir. Il y a dans la pièce de M. Sardou des scènes lestement menées et jouées avec beaucoup d’entrain et de finesse par M. Landrol (le directeur de la