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Voilà l’espèce d’unité qu’il ne faut pas affaiblir, lors même que des réformes centralisatrices seraient devenues nécessaires. — La Suisse, avant de devenir unitaire, doit rester unie, et, pour être unie, il faut qu’elle reste libre. Il faut que les membres de la confédération respectent leur mutuelle indépendance, qu’ils ne cherchent pas à effacer systématiquement des diversités qui sont dans la nature et dans la force même des choses ; qu’ils se gardent bien de mettre le patriotisme fédéral en antagonisme avec le patriotisme cantonal. Tout en apportant à la grande patrie les forces nécessaires à sa sécurité et à sa grandeur, il ne faut pas risquer de détruire la petite patrie, qui est le vrai berceau du patriotisme et le fondement de l’existence nationale. Si des réformes doivent être accomplies, elles ne doivent être à aucun prix la conquête violente d’un parti sur un autre. La Suisse a pu se donner en 1848 le luxe dangereux d’une guerre civile, parce qu’alors sa neutralité était assurée en présence des grandes monarchies ses voisines, peu disposées dans ce temps-là à faire des conquêtes et travaillées elles-mêmes par des révolutions intérieures. En ce moment au contraire, et en présence de cette Allemagne envahissante, qui affiche hautement la prétention de faire rentrer de gré ou de force tous les membres de la famille germanique dans le giron du nouvel empire, une guerre civile ou seulement une longue agitation politique serait la perte certaine de la Suisse. Ceux qui seraient assez imprudens et assez insensés pour en courir la chance n’ont qu’à se rappeler le temps de la première révolution et les humiliations qui ont suivi l’occupation de la Suisse par les armées françaises. Qu’ils se demandent seulement quelles seraient aujourd’hui les conséquences d’une intervention pareille de la part des armées allemandes, et quel usage le nouvel empire pourrait faire de sa puissance le jour où les divisions intérieures de la Suisse lui auraient permis de prendre pied dans ce pays.


III

À ce point de vue, le rejet d’un projet de révision patronné par l’Allemagne est d’un heureux augure pour l’indépendance de la Suisse. Cette œuvre indigeste et hâtive méritait bien d’être ajournée jusqu’à plus ample examen, et la confusion systématiquement établie par ses auteurs entre des questions fort différentes ne laissait pas au peuple suisse toute la liberté de ses votes ; ne pouvant prendre de décision raisonnée et éclairée sur chacun des objets qu’on présentait à son approbation, il ne pouvait et ne devait y répondre qu’en refusant tout en bloc. Malgré la division toujours