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sur les chemins de fer, à l’heure de Berne, » il faut qu’ils sachent faire la part du feu et payer la rançon de leur indépendance.

Il faut surtout que les deux partis s’entendent pour faire taire l’expression bruyante de deux passions profondément dangereuses, et qui, si elles venaient à s’envenimer, seraient la perte certaine de la Suisse : nous voulons parler des haines de race et des haines de religion. Les haines religieuses ne peuvent être apaisées que par la séparation de l’église et de l’état ; les fédéralistes protestans devraient le comprendre, au lieu de refaire gauchement à leur usage la constitution civile du clergé. Quant aux guerres de races, il suffit pour les éviter d’un peu de patriotisme et de bon sens. Il y a quelque temps, M. Feer-Herzog, président du directoire révisioniste et du grand-conseil d’Argovie, prononçait un discours plein de fiel, où il reprochait aux Welches de la Suisse romande d’avoir « commis le forfait d’exciter les inimitiés de race » pour s’en servir contre le parti de la révision. Que les fédéralistes se gardent bien de suivre ce triste exemple, et, quand même ils auraient contre eux tous les cantons de langue allemande, qu’ils ne trahissent jamais la nationalité suisse pour se faire Italiens ou Français !

Ces antipathies et ces affinités de races sont d’ailleurs plus apparentes que réelles. Au début de la guerre franco-prussienne, les amis de la Prusse étaient plutôt dans les populations de race française et voisines de nos frontières, les amis de la France dans les populations de race germanique et voisines de l’Allemagne. On comprend aisément pourquoi : étant également jalouses de leur indépendance nationale, ces populations se défiaient surtout de leurs voisins les plus proches, de ceux par qui elles craignaient d’être absorbées ou conquises. Elles défendaient, les unes et les autres, leur famille d’adoption contre leurs frères étrangers. Ce qui anime aujourd’hui les cantons romands contre l’Allemagne, ce n’est pas l’amour du nom français, c’est la crainte d’une centralisation qui les obligerait à se germaniser pour prendre part à ses avantages. Cette crainte est d’autant plus vive aujourd’hui qu’un certain degré de centralisation semble devenir plus inévitable, et que l’ancienne neutralité de la Suisse paraît plus compromise au dehors. Loin de voir dans les mesures qu’on leur propose les moyens de conjurer le péril qui menace leur pays, les fédéralistes se cramponnent aux traditions cantonales, et repoussent toute expérience aventureuse comme une nouvelle source de dangers. Quant à être Français ou Allemands, comme ils s’en adressent mutuellement l’injure, c’est une calomnie de part et d’autre ; ils ne sont pas autre chose que Suisses, et ils sauront le prouver quand l’heure viendra.

Il ne faut pas méconnaître d’ailleurs que la victoire de