Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démembrement que la France verrait avec chagrin, et dont elle ne pourrait ni ne voudrait profiter. Le seul service que nous demandions à la Suisse de nous rendre, c’est de rester unie sans acception de race ou de langue, et de défendre obstinément son indépendance contre quiconque osera l’attaquer.

Ce devoir, nous sommes convaincus qu’à l’occasion elle n’y faillira pas. Le premier effet de l’intervention étrangère serait de réunir tous les partis contre l’ennemi commun. Devant un nouveau Charles le Téméraire, on verrait se renouveler sans doute les luttes héroïques de Granson et de Morat ; mais ce n’est pas assez d’être prêt à s’ensevelir sous les ruines de la patrie : il vaut mieux éviter dès à présent toutes les causes de division dont l’ennemi pourrait profiter. Que les uns montrent plus de patience et plus d’indulgence pour des institutions séculaires, que les autres montrent un sage esprit de conciliation et de concession aux idées du jour ; qu’en s’appropriant les réformes utiles que peut contenir l’œuvre de la révision, ils sachent leur enlever tout caractère hasardeux et révolutionnaire ; que surtout le grand intérêt de la défense nationale cesse d’être obscurci par des intérêts secondaires, et la constitution fédérale pourra encore servir d’abri pendant longtemps à une nation vraiment libre, vraiment républicaine, de tout temps chère à la France, indispensable maintenant à sa sûreté, utile d’ailleurs à la paix de l’Europe, utile surtout par le bon exemple qu’elle donne aux autres peuples. Non, le fier esprit d’indépendance et de liberté républicaine qui au milieu de l’anarchie du moyen âge a rassemblé quelques peuplades de bergers et de paysans pour en faire le noyau d’une grande nation ne saurait être étouffé sans résistance par le caporalisme prussien. La Suisse s’est laissé dominer par Bonaparte, parce qu’il lui apportait, pour la séduire, les exemples et les promesses de la révolution française ; mais elle ne se laissera pas asservir par le césarisme bâtard devant lequel l’Europe s’incline aujourd’hui. Si après le XVIIIe siècle, qui a vu le partage de la Pologne, le XIXe siècle était condamné à voir le démembrement de la Suisse, ce serait à désespérer de la civilisation moderne et à rougir du temps où nous vivons. Si jamais cette profanation venait à être commise, la France du moins n’en serait pas la complice. Malgré nos revers, malgré notre affaiblissement passager, malgré notre désir d’éviter toute nouvelle cause de guerre et toute nouvelle occasion de dépenses, la Suisse peut être certaine que son ancienne alliée lui reste fidèle,


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.