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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/811

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Valentin Haüy. Celui-ci ouvrit rue Coquillière une école qui ne tarda pas à être connue dans Paris. Aux études de la grammaire, de la géographie et de la musique, le fondateur ajouta l’apprentissage de quelques métiers faciles, le tricot, le filet, la corderie, la sparterie, l’empaillage des chaises, la fabrication des fouets au boisseau, et même l’imprimerie. On donnait quelques séances publiques qui attiraient la foule. Bachaumont cite celle du 1er mars 1785, et rappelle un impromptu de Théveneau sur les sourds-muets et les aveugles-nés, qui se termine ainsi :

Mais dans ce siècle ingénieux,
Où l’homme enfanté des merveilles,
Les yeux remplacent les oreilles,
Le toucher remplace les yeux.

À cette date, on connaît le personnel de l’école ; il se compose de 13 enfans, dont 4 filles et 9 garçons. Un an après, il était presque doublé ; en effet, le lieutenant de police Lenoir, dont le nom se trouve mêlé à tant de bonnes œuvres, parla de cette « nouveauté ». à M. de Vergennes ; Louis XVI fut prévenu, il désira voir les aveugles travailleurs. Valentin Haüy ne se fit pas prier, et se transporta en décembre 1786 avec ses vingt-quatre élèves à Versailles ; ils furent hébergés pendant quinze jours, et étonnèrent tout le monde par leurs exercices. Cependant l’espoir conçu par Valentin Haüy que le roi prendrait l’institution sous sa protection ne fut pas réalisé ; elle restait toujours à la charge de la Société philanthropique, et avait été, pour cause d’agrandissement, transportée rue Notre-Dame-des-Victoires, dans l’espace qui s’étend aujourd’hui derrière la Bourse. On y ouvrit une imprimerie ordinaire, qu’il fallut bientôt fermer, car elle coûtait plus qu’elle ne rapportait, et l’on ne conserva que les ateliers où se faisait l’estampage des caractères en relief. L’émotion causée à cette époque par les résultats des méthodes de l’abbé de l’Épée et de Valentin Haüy fut assez vive pour qu’on agitât cette question de savoir si la suppression d’un sens ne constituait pas à l’infirme une supériorité intellectuelle sur les autres hommes !

La révolution décida du sort de l’institution des aveugles travailleurs, et, la plaçant sous la direction de l’état, la mit à même de traverser les mauvais jours qui l’attendaient. Une loi du 21 juillet 1791 déclara que l’institution serait désormais un établissement public ; une seconde loi du 28 septembre y fonda des bourses, et attribua une subvention à Valentin Haüy. On réunit momentanément les aveugles aux sourds-muets dans l’ancien couvent des Célestins ; mais en 1794 on les installe rue des Lombards, au coin de la rue Saint-Denis, dans la maison des Filles Sainte-Catherine.