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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/824

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tout est expliqué de vive voix, commenté, répété pendant de longs jours avant qu’on mette à leur disposition une table à calculer, ou qu’ils soient parvenus à résoudre le problème sur le papier. On leur enseigne en même temps l’orthographe et la grammaire ; le professeur aveugle, promenant ses doigts sur les feuillets du gros registre poinçonné qui lui sert de livre, lit une phrase ; il la fait épeler lettre à lettre par l’élève, puis il passe à l’analyse grammaticale, qui est détaillée mot à mot ; le lendemain, il fait répéter la leçon de la veille. C’est bien long, — nul point de repère que le souvenir : aussi faut-il six années d’études suivies pour acquérir les notions de l’enseignement primaire. La mémoire de quelques-uns de ces enfans est prodigieuse, et parfois il leur suffit d’avoir entendu réciter un acte de Racine ou de Corneille pour ne le jamais oublier.

Le premier débrouillement se fait assez vite ; en trois ou quatre mois, un enfant d’une intelligence moyenne sait lire et écrire. Dès qu’ils sont un peu grands et qu’ils ont franchi les étapes élémentaires, on leur fait écrire beaucoup de dictées, qui restent pour eux des volumes qu’ils peuvent relire. Je les ai vus, la tablette au genou, piquant les signes conventionnels avec une grande régularité, silencieux, très attentifs et ayant vraiment l’air de faire effort pour échapper à l’obscurité qui les enveloppe. Ils lisent sans ânonner, lestement, l’extrémité des doigts sur les points saillans, et aussi rapidement qu’un voyant qui lirait à haute voix. Ils ont d’eux-mêmes abrégé leur écriture ; à moins qu’ils ne fassent un devoir de grammaire, ils négligent l’orthographe, qui n’est utile que pour les yeux, et ils se servent d’une, sorte de sténographie exclusivement phonétique : ils ne reproduisent que le son. Ainsi, au lieu d’écrire lentement et en détail : j’ai bu de l’eau, — ce qui exige 27 coups de poinçon, — ils écrivent en 17 points : j bu dlo. Ils vont ainsi beaucoup plus vite et avec une sûreté égale, car le système graphique de Louis Braille, qui actuellement est adopté dans le monde entier, excepté dans l’Allemagne du nord, a cela d’admirable, qu’il se prête à toutes les abréviations possibles, et qu’il correspond à la fois aux besoins de la vue, de l’ouïe et du toucher. Lorsque les enfans parviennent à la seizième année, et que déjà ils ont des notions sérieuses de grammaire, de littérature, de géographie et d’histoire, on les laisse très habilement livrés à eux-mêmes pour le choix des compositions qu’ils ont à faire. Au lieu de leur donner une matière à amplifier, discours ou narration, on leur dit à peu près : Faites ce