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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/926

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pour un enthousiaste ou deux on comptait les barbares par milliers. Dans le clergé particulièrement, qui le croirait ? ce respect scrupuleux des souvenirs du passé, dont il était cependant le gardien, est de date récente, et dans les siècles précédens un curé ne se gênait nullement pour faire blanchir, repeindre, nettoyer, selon que la fantaisie lui en prenait, sans souci aucun des peintures qu’il lui fallait effacer ou des objets d’art qu’il lui fallait déplacer, enlever ou quelquefois mutiler. Le clergé des cinquante dernières années tranche singulièrement, en cela comme en bien d’autres choses, sur le clergé des époques précédentes, et a réparé autant qu’il était en lui les dégâts que ses devanciers avaient opérés ou laissé opérer. C’est là l’histoire de ces souvenirs de la cathédrale de Nevers retrouvés sous le badigeon : dans le nombre, il s’y rencontre une œuvre charmante, une peinture à fresque consacrée au souvenir d’un certain chanoine Simon Laurendault, mort en 1445, et qui marquait probablement la place de sa sépulture. On reste étonné de l’insouciance stupide qui avait condamné à l’effacement cette page remarquable. Elle avait toute sorte de titres pour échapper à la destruction, une beauté réelle, un sentiment de naïveté des plus touchans, une perfection de travail rendue curieuse par la date ; aucun de ces mérites cependant n’avait pu la sauver contre le badigeon sous lequel elle est restée emprisonnée un temps infini à la façon de ces chevaliers et de ces dames que les enchanteurs des vieux poèmes enfermaient dans des arbres ou des pierres. Elle est de 1445, c’est-à-dire du printemps même de la renaissance italienne, à laquelle elle n’a rien à envier, et dont elle reproduirait exactement le caractère, si un sentiment de naïveté familière et de bonhomie pieuse qui se sent des vieux âges gaulois ne nous disait pas que c’est pour une église française et non pour une église italienne que cette fresque fut composée. Le chanoine, agenouillé sur ce tapis d’herbe et de fleurs si cher à tous les peintres de la première renaissance, est présenté par saint Pierre à la Vierge et à l’enfant. Cela est peint d’une large et ferme touche, sans gaucherie gothique d’aucun genre, ni mièvre minutie de détail. Saint Pierre offre tous les caractères du type traditionnellement établi par la peinture depuis la renaissance ; mais ce qui n’est rien moins que traditionnel, c’est la façon familière dont il présente le chanoine à la Vierge ; il le tient légèrement par l’occiput entre le pouce et l’index à peu près comme un père ou un maître tire l’oreille d’un enfant qu’il veut réprimander sans le punir, ou auquel il veut montrer un sentiment d’espiègle sympathie. La Vierge à laquelle le chanoine est ainsi amicalement recommandé est de son côté d’aspect peu redoutable et respire peu la sévérité. Rousse superbe, un