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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/99

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PHILIPPE.


lui sera notre foyer où la honte s’assoira, notre amour qu’il maudira, notre douleur qui avivera la sienne? Que serons-nous, déchues de nos droits et de son respect, pour ce jeune homme qui ne croira plus, ayant cessé de les trouver en nous, ni à la loyauté, ni à la vertu, ni à l’honneur? Ah ! tenez, ce n’est plus même pour nous que je vous supplie, c’est pour lui, pour qu’il reste honnête et vaillant. Il faut qu’il ne sache rien de ce passé funeste.

Elsie commençait à comprendre. — Et moi, que puis-je donc à cela? murmura-t-elle. Qu’allez-vous me demander, madame?

— Ce que vous seule pouvez faire, mon enfant, non sans cruauté, je l’avoue, mais sans honte. Oui, votre cœur saignera, vous aurez tous les déchiremens du sacrifice; mais en lui disant que c’est vous qui renoncez à lui, vous le sauvez de l’abîme où il tomberait, et il y aura deux pauvres femmes à vous remercier humblement et à vous bénir.

— Je ne le pourrais pas, je ne le veux pas, madame ! s’écria Elsie. Je partirai sans le voir, c’est tout ce que je puis pour vous, et, quand je serai loin, vous lui direz de moi tout ce que vous voudrez. Vous vous justifierez en m’accusant.

— Il ne nous croira pas, nous, répondit Mme d’Hesy. Adieu, mademoiselle ! — Et baissant tristement son voile, après ces derniers mots de la mère humiliée et vaincue, elle se dirigea vers la porte en chancelant.

Alors, avec un violent effort sur elle-même, mais dans un élan de jeunesse et de générosité, Elsie lui cria : — Partez tranquille, madame ! c’est moi seule qu’il maudira.

Elle attendit Philippe. Qu’allait-elle lui dire? Elle ne le savait pas, cherchait, ne trouvait rien. Ses tempes battaient violemment, sa pensée était confuse. Ce qui lui paraissait certain, c’est qu’elle ne le convaincrait pas. Il fallait pourtant qu’elle essayât, elle l’avait promis. Alors elle imagina de banales défaites, les seules qui lui vinssent à l’esprit. Son père aurait vu Mme d’Hesy, il lui aurait dit que, par suite d’un voyage indispensable et qui devait s’entreprendre sur-le-champ, son intention n’était point de marier encore sa fille, qu’elle était bien jeune d’ailleurs, que Philippe l’était aussi, n’avait point de carrière, qu’il lui en fallait une, que tous deux devaient attendre, enfin qu’il ne fallait pas songer à cette union avant plusieurs années. Oui, c’était bien cela qu’elle avait à dire; mais ce devait être inutile. Philippe arriva. Lorsque, dans son inquiétude et sa douleur, il la pressa de questions, la malheureuse enfant ne sut que balbutier. Il avait si facilement raison de ces prétextes ! Comment M. de Reynie, qui s’était montré plein de joie à la pensée de ce mariage, aurait-il donc changé d’avis? Qu’importait au reste?