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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/119

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approuvé par la reine, il avait le droit de ne pas cacher ses opinions aux personnes qui causaient avec lui. La prétention était singulière, car il pouvait se faire que ces personnes eussent intérêt à répéter ses paroles, et alors qu’arriverait-il ? Les conversations de lord Palmerston auraient donné un démenti à ses dépêches. C’est précisément ce qui eut lieu. Lord Palmerston, dès le lendemain du coup d’état ou au plus tard le surlendemain, causant avec M. le comte Walewski, n’hésite pas à lui déclarer que, pour sa part, il approuve complétement le coup d’état. « Nous ne nous mêlerons pas de vos affaires, lui dit-il, c’est à la France de décider de son sort. Toutefois, si votre excellence désire connaître mon opinion particulière sur le changement qui vient de s’accomplir, je la résume ainsi : l’antagonisme entre le président et l’assemblée était arrivé à un tel degré qu’il n’y avait plus pour eux possibilité de coexistence. Cela devenait de jour en jour plus manifeste. Or il me paraît préférable pour les intérêts de la France, et par suite pour les intérêts du reste de l’Europe, que le pouvoir du président l’emporte. Le maintien de son autorité est une garantie pour le maintien de l’ordre social. Avec la division des partis et des opinions qui règnent dans l’assemblée, une victoire sur le président ne serait que le point de départ d’une guerre civile des plus désastreuses. »

On devine avec quel plaisir M. Walewski recueille ces paroles de la bouche de lord Palmerston. Est-il tenu de faire une distinction entre lord Palmerston causant familièrement et lord Palmerston écrivant au nom du conseil de sa majesté ? Cela ne se peut, il y a des situations indivisibles. M. Walewski s’empresse donc de communiquer cette conversation au ministre des affaires étrangères à Paris ; c’était alors M. le comte Turgot. Le ministre est radieux, et si le lendemain lord Normanby vient lui dire qu’il a reçu des instructions de Londres, que rien n’est changé dans les rapports des deux gouvernemens, qu’il restera spectateur attentif, mais désintéressé, des événemens intérieurs de la France, le cabinet de Saint-James désirant garder une neutralité absolue, n’est-il pas naturel que M. Turgot lui réponde : « Oh ! nous avons mieux que cela. Lord Palmerston s’en est ouvert avec le comte Walewski. Nous sommes assurés de son approbation. » Fort embarrassé de la situation qui lui est faite, lord Normanby écrit à Londres, l’affaire s’ébruite, lord John Russell, comme premier ministre, demande des explications à son collègue, qui dédaigne de lui répondre. C’est bientôt tout un événement, et la nouvelle en arrive à Windsor. Comment s’étonner de l’émotion de la reine Victoria, si l’on se rappelle le mémorandum du mois d’août ? elle connaît les mauvais sentimens de lord Palmerston pour le prince Albert, elle soupçonne une atteinte à sa