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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/129

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La Belgique est l’objectif le plus prochain de l’oiseau de proie récemment couronné. Il ne fera pas la guerre à la Belgique, mais il soudoiera une insurrection, puis comme empereur de la paix et garant de toute volonté de tous les peuples[1], il défendra au roi Léopold de réprimer les rebelles. Alors il envahira le territoire belge. Le moyen le plus indiqué, le plus sûr, le meilleur, c’est une quadruple alliance entre l’Angleterre, la Prusse, la Hollande et la Belgique, avec une convention militaire qui réunira les forces des quatre états et réglera leurs opérations. Ce dernier point, quoi qu’il arrive, est indispensable. Le roi Léopold et le ministre Thorbecke le feront de grand cœur, je le sais ; mais qu’en pense lord Derby (car la reine et le prince pensent comme moi et le roi Léopold) ? donc Derby ?

« Hâtez-vous, très cher Bunsen, de nous fournir des informations sur les points suivans : 1o l’Angleterre veut-elle conclure une alliance défensive avec moi, le roi Léopold et Thorbecke ? (Si lord Derby comprend le véritable intérêt de l’Angleterre, il doit pousser de toutes ses forces à ce traité. Je suis prêt à mettre 100 000 hommes au service de la quadruple alliance. Dites-le à lord Derby.) 2o Une stipulation militaire sera-t-elle acceptée ? Ceci, c’est le minimum ; l’alliance vaudrait mieux, car elle agira plus fortement sur les Tuileries. Si le projet d’alliance n’aboutit pas et qu’on s’en tienne simplement à la convention militaire des quatre puissances, je chargerai Scharnhorst de la négociation. 3o J’exige le secret le plus absolu jusqu’à ce que tout soit ratifié, que ce soit une alliance ou une stipulation militaire. Quand tout sera réglé avec les trois parties contractantes, alors seulement j’en ferai part aux deux empereurs[2]. Ils verront de leurs yeux que la Prusse est encore debout dans sa force propre, qu’elle peut faire encore des actions de grand style et pour elle-même et dans l’intérêt du droit général. Hâtez-vous donc lentement, je veux dire avec adresse, mais aussi avec chaleur et éloquence. Je voudrais faire cette surprise aux deux empereurs comme cadeau de Noël, ou comme cadeau de jour de l’an, ou au plus tard comme cadeau du jour des Rois. Le ministre Manteuffel vous écrira dans le même sens. Et maintenant Dieu nous soit en aide ! Puissions-nous, s’il ne nous abandonne pas, puissions-nous trouver là une réparation, une consolation de la faiblesse dont les quatre puissances ont fait preuve dans le protocole de Londres et de l’empressement funeste que l’Angleterre a mis à reconnaître Napoléon avec son III ! ! ! Vale.

« Frédéric-Guillaume. »

Il est bon de rapprocher ici les dates, si l’on veut savoir jusqu’où allaient les illusions du roi de Prusse. À l’heure où Frédéric-Guillaume écrivait qu’il était impatient de conclure cette alliance ou du

  1. Ces mots sont en français dans le texte.
  2. On comprend qu’il s’agit de l’empereur de Russie et de l’empereur d’Autriche.