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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/371

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restaurer les vieilles mœurs ; elle n’en contribua pas moins à jeter en Russie les germes de la culture européenne. Michel Romanof fait déjà venir des marchands, des industriels, des soldats étrangers, et conclut des traités de commerce avec l’Occident. Alexis, un vrai tsar russe, aux longs vêtemens byzantins, qui le font ressembler aux saints des icônes, sert de précurseur à son fils Pierre. Sous son règne, les étrangers deviennent plus nombreux, comme s’il rassemblait pour son fils des maîtres et des matériaux d’instruction. Ces Occidentaux occupent dans Moscou tout un quartier, la Slobode des Allemands. Ce sont des artisans de toute sorte, des constructeurs de navires et des charpentiers hollandais, dont une barque, délaissée sur un étang, donnera à Pierre le goût de la marine ; ce sont des officiers et des instructeurs, comme le futur conseiller du tsar, le Genevois Lefort. Avec les arts mécaniques, Alexis introduit dans ses états quelques arts de luxe ; il fait jouer l’opéra sur un théâtre de Moscou, et sa fille Sophie écrit une tragédie. Pierre grandit à l’école des étrangers, recevant d’eux des leçons de civilisation avec des leçons de vice, la Slobode allemande remplie de cabarets et de lieux de débauches étant un des quartiers les plus mal famés de Moscou : un Hollandais lui sert de précepteur, une Allemande est sa maîtresse, des Européens de tous pays forment sa société. La plupart, Lefort lui-même, semblent avoir été des gens de médiocre instruction, plus capables d’exciter la curiosité du jeune tsar que de lui donner de sérieuses connaissances[1]. Sous Fédor et sous la régence de Sophie, les étrangers étaient déjà nombreux et leur rôle important, bien que relégués aux postes secondaires. Avec Pierre, leur élève, ils deviendront les instituteurs et les maîtres de la nation ; sous sa nièce Anne, ils en seront un instant les tyrans. Les vieux tsars ont de loin préparé leur domination. Pierre ne changea pas violemment la direction de la Russie, il ne lui fit pas rebrousser chemin de l’Asie vers l’Europe ; il ne fit que précipiter sa marche dans une voie où elle entrait d’elle-même. Il ne l’a point jetée hors de sa route ; il lui a fait prendre, pour atteindre l’Europe, un chemin raccourci et abrupt.

IV.

Tsar à dix ans, seul maître de l’empire à dix-sept, Pierre entreprend de transformer les mœurs du peuple le plus attaché à ses coutumes. Entouré d’étrangers, le Hollandais Timmermann, le Genevois Lefort, le Français Villebois, l’Écossais Gordon, il s’éprend de

  1. C’est l’avis de M. Oustrialof dans son grand ouvrage, Istoria Tsarstvovaniia Petra Velikago.