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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/430

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français. Maître absolu des destinées du pays et n’ayant à compter qu’avec lui-même, Mazarin bouleversa toutes les règles administratives établies par Sully ; il préleva chaque année sur le budget des recettes 28 millions de fonds secrets dont il se réserva la libre disposition, et, non content d’augmenter les tailles, les gabelles et les aides, il contracta de continuels emprunts, même au taux de 50 pour 100. En 1647, il confisqua les revenus des villes ; il ajouta au droit de paulette, qui assurait aux familles des titulaires d’offices l’hérédité des charges, un droit de confirmation, ce qui ne l’empêcha point de revendre les offices, de frapper les titulaires de fortes taxes et de leur supprimer quatre années des gages. En 1648, il suspendit le paiement des rentes de l’Hôtel de Ville, et, comme la misère qu’il avait créée par la banqueroute et les excès du fisc rendait les recouvremens des impôts de plus en plus difficiles, il adjoignit des soldats aux collecteurs, fit faire les recettes à main armée et jeta dans les prisons 18 000 contribuables.

L’impitoyable ministre justifiait ses violences par la nécessité de soutenir la guerre ; il avait, disait-il, « le cœur plus français que la langue. » S’il obtint en effet de grands résultats politiques, s’il agrandit le royaume du Roussillon, de l’Artois et d’une partie de l’Alsace, ses conquêtes ne sauraient l’absoudre, car, suivant les belles paroles du président de Lamoignon, « tandis que la France était triomphante au dehors, qu’elle étendait au loin ses frontières et qu’elle portait la terreur dans les pays voisins, elle était dans la désolation au dedans, et paraissait comme abandonnée au pillage et aux rapines[1]. » En 1661, les dépenses courantes montaient à 60 millions, sur lesquels 52 millions étaient absorbés par l’intérêt des emprunts et des gages des offices, 26 millions étaient prélevés par anticipation sur les années suivantes, et il restait de plus, malgré les annulations ou les réductions des créances les plus légitimes, 409 millions de dettes d’origine et de nature très diverses. En présence de cet énorme déficit, Mazarin, pour donner la mesure de sa probité et de son dévoûment à l’intérêt public, laissait une fortune de 100 millions.

Louis XIV, pendant sa minorité, avait subi comme le dernier de ses sujets les conséquences de l’administration de son ministre ; les dépenses les plus nécessaires, les plus privilégiées de sa maison et de sa propre personne, c’est lui-même qui nous l’apprend, étaient « ou rétardées contre toute bienséance, ou soutenues par le seul crédit. » La détresse, qui avait pénétré jusque dans le Louvre, lui fit sentir plus vivement peut-être que les plaintes du peuple combien

  1. Discours du président de Lamoignon, 3 décembre 1661.