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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/497

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que je lui avais donné, mais je ne pense pas que cela l’engage à le ratifier par un mariage.

— Enfin ! s’écria Manoela en s’adressant à moi, elle veut me désespérer, vous voyez ! Et elle me rend plus malade, elle qui prétend m’aimer plus que tout au monde !

— Serez-vous, lui dis-je, réellement désespérée, si vous restez avec sir Richard dans les conditions privilégiées où vous êtes depuis cinq ou six ans ? Que vous manque-t-il ? Rien, pas même la considération, puisqu’il vous a laissée usurper le titre d’épouse. Vous vous ennuyez, vous souffrez d’être trop enfermée ; il s’agit d’obtenir qu’il vous fasse sortir plus souvent et qu’il vous conduise en voiture au lieu de vous accompagner à cheval. Cela ne me paraît pas bien difficile, et dès qu’il vous saura souffrante, il s’empressera de vous satisfaire.

— Certainement, reprit la Dolorès, c’est un homme très bon, et il a beaucoup de tendresse pour elle ; mais appelez-vous donc ces promenades-là le plaisir et le bienfait de la liberté ? Peut-on vivre éternellement tête à tête avec un homme qui n’a plus les besoins et les goûts de la jeunesse ? Jamais de conversations, jamais de visites, jamais de théâtre ni de bal. Voyons, monsieur le docteur, si vous aviez une femme, la tiendriez-vous à l’attache comme cela ?

— Si j’avais une maîtresse, peut-être. Si c’était une femme légitime, j’exigerais qu’elle ne s’occupât que de son ménage et de ses enfans. C’est vous dire que je ne prendrai jamais pour femme une personne qui aura besoin, pour se bien porter, de conversations, de visites, de théâtre et de bal.

— Eh bien ! reprit Dolorès, vous seriez dans le vrai, parce que vous auriez un ménage et des enfans ; votre femme aurait de quoi s’occuper, et elle vous aurait d’ailleurs ! Un homme jeune et beau, on n’est pas triste, on n’est pas malade quand on a une pareille compagnie, tandis que…

— Assez ! dit Manoela, qui était devenue rouge comme le feu et dont la voix tremblait. Tais-toi, Dolorès, tu ne dis que des sottises et des impertinences !

— Tout cela est étranger à mes visites de médecin, observai-je. Parlons de votre santé.

— Ma santé ! s’écria-t-elle ; non, je ne veux pas m’en occuper ! Je veux me laisser mourir, j’ai assez de la vie. — Et comme j’allais la gronder : — Laissez ! reprit-elle avec véhémence. Je vois trop clair à présent. Richard s’imagine peut-être que j’en veux à son rang et à sa fortune… Et vous ! je parie que vous le croyez aussi. Ah ! malheureuse que je suis ! Je l’aimais pour lui-même, pour sa beauté morale, pour son grand esprit, pour sa bonté, qui est immense, pour ses bienfaits, dont j’ai trop abusé, mais surtout pour l’amour vrai et