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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/50

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quer à la première vue pourquoi les eaux des rivières coulent à droite plutôt qu’à gauche de la plaine. Parcourons donc ce rivage à peine praticable en été et tout à fait inondé en hiver. Nous ne tarderons pas à y reconnaître plusieurs embouchures inégales de la rivière qui coule aujourd’hui presque entière à Koum-Kalé. La première que nous rencontrons est le Califatli-Asmak, qui se divise lui-même en deux ou trois bras et se perd dans des lagunes salées. Il doit son nom au village de Califatli, situé dans la plaine, à 5 kilomètres environ de la mer. La dernière embouchure des eaux vers l’est de la plaine est celle de l’In-Tépé-Asmak, c’est-à-dire de la rivière de l’In-Tépé, nom turc du tombeau d’Ajax ; elle est à quelques centaines de mètres en avant de ce dernier.

En remontant ces divers lits de rivières, on reconnaît que le Califatli, qui vient du sud-est, n’est qu’une branche de l’In-Tépé, et que le point de séparation est au village de Koum-Kieui, à 2 700 mètres de la mer. Au-dessus de ce point, toutes les eaux de la plaine troyenne courent au hasard à travers une vallée marécageuse de 2 à 5 kilomètres de large, et, suivant la saison, coulent uniquement dans le lit du Mendéré ou dans tous les lits à la fois ; mais l’immense largeur du lit pierreux du Califatli prouve jusqu’à l’évidence que là se trouvait autrefois le cours principal de la rivière, et qu’elle n’a quitté cette direction que dans la suite des temps. Au fond de la plaine, en remontant toujours vers le sud-est, on trouve à 13 kilomètres de la mer les hauteurs devenues célèbres de Bounar-Bachi. C’est là que le Scamandre sort des croupes de l’Ida ; son cours au-dessus de ce point n’est plus marécageux : c’est une rivière de montagne aux eaux limpides, courant entre des rives souvent escarpées et presque toujours boisées. En résumant, on voit que le Scamandre, qui a toujours été le fleuve troyen par excellence et ne recevait le Simoïs que comme un faible affluent, a changé deux fois de direction, une première fois à Koum-Kieui, non loin de son embouchure, pour former le cours inférieur du Califatli, une seconde fois à 8 ou 9 kilomètres de la mer pour donner naissance au Mendéré-Sou, fleuve visiblement moderne. Le lit primitif longeait donc les hauteurs de l’est, et, se dirigeant ensuite vers le nord, là où est aujourd’hui la branche nommée In-Tépé, il passait à l’ouest du tombeau d’Ajax.

Pour se rendre compte de cette topographie, il est bon d’avoir sous les yeux une carte développée du pays, comme celle que publièrent en 1840 le commandant Th. Graves et le lieutenant Spratt. Cette étude doit précéder toute discussion relative à Troie et aux poèmes homériques, car les changemens survenus dans cette plaine célèbre sont indépendans de toute opinion suggérée par la critique