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philosophes, les économistes du temps, les mécontens et les frondeurs, qui n’ont jamais fait défaut dans notre population, ne se gênaient guère pour en médire. Il est juste d’ajouter qu’à cette époque les deux tiers du produit appartenaient au roi, mesure excessive dont on pourrait retrouver l’origine dans un édit de 1323 rendu par Charles le Bel. Parlant des barrières, Mercier dit : « Elles sont communément de sapin et rarement de fer, mais elles pourraient être d’or massif, si ce qu’elles rapportent avait été employé à les faire de ce métal. »

La ferme-générale avait singulièrement modifié l’aspect du vieux Paris en l’enfermant de toutes parts, et en faisant construire à chacune des issues ces pavillons plus bizarres les uns que les autres, et dont quelques-uns encore debout sont attribués à divers services municipaux. L’architecte Ledoux, qui fut chargé de ce travail, avait une imagination aussi déréglée que stérile ; il s’épuisait à trouver des formes nouvelles, et ne les obtenait le plus souvent qu’au détriment des règles les plus élémentaires du bon goût[1]. Ledoux préconisait ce qu’il appelait « l’architecture parlante, » et trouvait tout simple que la maison d’un vigneron eût l’apparence d’un tonneau. L’archevêque de Brienne, en arrivant aux affaires, fit interrompre les constructions commencées ; on les reprit plus tard, on les arrêta de nouveau ; Ledoux ne ménagea pas ses plaintes, et dans une lettre pleine de doléances, où il raconte les caprices dont il eut à souffrir, il écrit cette phrase, qui mérite d’être répétée aujourd’hui : « il semble que cette nation ne soit pas susceptible d’une pensée durable, et qu’elle ne puisse atteindre au-delà du provisoire. » Il acheva pourtant d’élever ces lourds bâtimens qui, malgré les formes variées qu’il leur avait infligées, prouvaient par une laideur égale qu’ils sortaient tous de la même main.

Le premier acte de la révolution ne fut point la prise de la Bastille, ce fut la destruction et l’incendie des barrières. Dès le 12 juillet 1789, aussitôt que l’on eut appris le renvoi de Necker, le peuple, avant de songer à combattre la royauté, se rua avec ensemble sur les bureaux où se tenaient les commis de la ferme-générale, ceux qu’il nommait les gabeloux, les agens de la maltôte. Dusaulx, dans l’Œuvre des sept Jours, dit, à la date du 13 : « Nous apprenons que plusieurs barrières ont été brûlées la veille et ce jour même, que les commis à la perception des droits d’entrée sont dispersés. » C’était la ruine de la ville ; tout entrait en franchise, et la municipalité se voyait subitement et violemment dépouillée de son revenu

  1. J’excepte l’hôtel d’Uzès, qui était fort beau, et dont la porte était surtout remarquable ; la spéculation l’a détruit récemment et a percé une rue sur le terrain qu’il occupait rue Montmartre.