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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/580

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les princesses germaines. L’impératrice Élisabeth trouvait que Saint-Pétersbourg valait bien une messe. Là était le point délicat de cette négociation matrimoniale, délicat surtout pour le prince d’Anhalt.

Christian-Auguste était, au témoignage de Frédéric II, « luthérien comme on l’était au temps de la réforme, » fermement attaché à ses croyances traditionnelles. Lorsqu’il visita Rome dans sa jeunesse, le pape lui fit des propositions brillantes qui ne purent ébranler ses convictions. Il avait vécu à cette cour de Frédéric-Guillaume, le roi-sergent, où tout général était une manière de dogmatiseur, et où l’on mêlait aux propos de corps de garde, parmi la bière et la fumée du Tabacks-collegium, de vives discussions idéologiques. Dans son Pro-Memoria, il reconnaît que sa fille a maintenant une instruction religieuse assez solide « pour savoir que l’on ne fait pas son salut par les œuvres, mais uniquement par les mérites de Christ, fils de Dieu. » Sa femme ne doit donc pas peser sur sa fille pour lui faire « accepter une religion où sa conscience lui montrerait des erreurs et de renoncer plutôt à l’empire que de scandaliser son âme. »

Les princesses se mirent en route. Jeanne-Élisabeth nous a laissé ses impressions de voyage, d’abord dans les lettres en allemand qu’elle écrit assez régulièrement à son époux ou à sa mère, ensuite dans une relation détaillée en langue française. Cette relation a été publiée dans le septième volume de la Société d’histoire russe, dû aux recherches de Pékarski, et partiellement dans l’ouvrage de M. Siebigk ; l’éditeur russe paraît avoir corrigé le texte, tandis que M. Siebigk a respecté les tournures étranges et l’orthographe un peu fantaisiste de la princesse. Les voyageuses traversent d’abord les plaines nues et monotones de la Prusse, puis la Courlande, dont les habitans leur paraissent bien misérables. Elles remarquent qu’ils sont horriblement malpropres et que les femmes du peuple s’en vont aussi déguenillées qu’en Pologne. À Riga, une réception solennelle les attendait ; mais deux heures avant leur arrivée, comme pour faire place à la future souveraine de Russie, on avait dirigé sur les forteresses de l’intérieur cet empereur Ivan VI, arrière petit-neveu de Pierre Ier, qu’Élisabeth avait détrôné au berceau et qu’une fin misérable attendait sous Catherine II. La narratrice est tout entière à la description des honneurs qu’on leur prodigue et des splendeurs de leur cortége. Elle ne nous fait grâce ni des fourriers à cheval, ni des carrosses où se pavanent les magistrats municipaux, ni des fanfares de trompettes et de timbales, Elle admire, en vraie connaisseuse et en digne générale prussienne, la belle taille des militaires russes et se fait présenter des échantillons de divers corps. Puis viennent les présentations de dames livoniennes. L’éveillée matrone allemande reçoit les harangues, y répond, est tout heureuse de se trouver en représentation, d’être « obligée de donner sa main à baiser. » On