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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/617

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un hommage au génie de la souveraine, en même temps qu’une utile introduction pour ses petits-fils aux questions législatives de leur temps. L’histoire contemporaine figure aussi fort honorablement dans ce programme d’enseignement : dix-sept fascicules en langue française renferment des renseignemens historiques et statistiques : 1o sur la Pologne jusqu’à l’avénement de Stanislas Poniatovski ; 2o sur la Prusse, jusqu’à la mort de Frédéric II ; 3o sur le Danemark et les autres pays voisins. En outre le futur empereur était tenu de rédiger un journal des occupations de la semaine ; mais ce qui caractérise le mieux le système d’éducation suivi par Laharpe avec ses élèves impériaux, ce sont les cahiers renfermant les hauts faits du grand-duc Alexandre dans sa treizième année et les archives de honte du grand-duc Alexandre. Voilà un mot bien fort assurément pour un enfant de sept ans ! Avec ces « archives de honte » et les papiers provenant de M. Monod, nous allons esquisser les rapports qui s’établirent entre le maître et ses disciples. M. Saint-René Taillandier, dans son étude sur les mémoires du landgrave Charles de Hesse[1], a déjà signalé ici même la rude éducation que ces républicains de Suisse, presque tous élèves de Rousseau, imposaient aux futurs souverains. Ils s’attachaient avant tout à dompter l’orgueil, à humilier les préjugés de la naissance et du rang. « Ne vous imaginez rien de ce que vous êtes des princes, disait leur gouverneur Sévery aux jeunes landgraves de Hesse ; sachez que vous êtes de la même boue que les autres, et que ce n’est que le mérite qui fait les hommes. » C’était cette morale que Laharpe mettait en action. Lorsque Alexandre avait commis quelque faute, il l’obligeait à s’en accuser par écrit et à déduire les raisons inavouées pour lesquelles il se croyait le droit d’être paresseux ou négligent :

« Au lieu de m’encourager et de redoubler d’efforts pour profiter des années d’études qui me restent, je deviens chaque jour plus nonchalant, plus inappliqué, plus incapable, et m’approche chaque jour davantage de mes pareils qui pensent sottement être des perfections par cela seul qu’ils sont princes. À treize ans, je suis aussi enfant qu’à huit ; et plus j’avance en âge, plus j’approche de zéro. Que deviendrai-je ? Rien, selon toutes les apparences. Les hommes sensés qui me salueront hausseront de pitié les épaules et riront peut-être à mes dépens, parce que je n’aurais pas manqué d’attribuer à mon mérite distingué les égards extérieurs qu’ils auront marqués pour ma personne. C’est ainsi qu’on encense une idole en riant d’une pareille comédie. » — « Moi, soussigné, ai menti, pour couvrir ma paresse et me tirer d’affaire, en prétendant n’avoir pas eu un moment pour exécuter ce qui m’était prescrit depuis

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1865.