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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/637

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qu’on entreprenait ; ils n’étaient pas seulement insuffisans, ils se trouvaient disséminés ou enfouis dans certains dépôts, et la difficulté était de les distribuer, de les faire arriver si vite au point voulu, de proportionner d’immenses mouvemens de matériel à des mobilités d’organisation et de direction qui commençaient dès la première heure. « Les changemens d’organisation étaient permanens, dit le directeur de l’administration de la guerre, M. l’intendant-général Blondeau. La grosse affaire en 1870, c’est que les projets ont varié tous les jours… Je vous dirai même qu’il est arriver que les projets ont changé plusieurs fois dans une journée… »

C’était là en effet la cause supérieure et générale de désordre qui réagissait sur tout, sur la régularité des services d’approvisionnement aussi bien que sur la marche des choses militaires. Le maréchal Niel, lui, avait adopté une organisation assez complète, qui ne pouvait toutefois devenir entièrement efficace que si on en avait poursuivi sans interruption et jusqu’au bout la réalisation avec un soin méthodique et persévérant. Il avait d’avance réparti les forces militaires françaises en trois armées et deux corps, l’une de ces armées destinée à l’Alsace, l’autre à la Lorraine, la troisième placée en réserve au camp de Châlons, les deux corps restant d’abord à Paris et à Lyon. Les chefs de ces armées avaient même été désignés secrètement. L’armée d’Alsace devait être sous le maréchal de Mac-Mahon, celle de Lorraine sous le maréchal Bazaine, celle de Châlons sous le maréchal Canrobert. La France engageant ainsi l’action par deux grandes masses militaires de 150 000 hommes, et s’appuyant sur une première réserve de 100 000 hommes, on pouvait regarder les événemens en face, soutenir un choc au besoin et se donner le temps d’étendre, de compléter les armemens du pays. De plus, cette organisation étant donnée et maintenue, un certain ordre s’ensuivait par cela même que la préparation avait été ébauchée ou étudiée dans ce sens. Par une étrange légèreté cependant, au moment de la guerre l’organisation du maréchal Niel était abandonnée, et tout se trouvait nécessairement bouleversé. Il ne s’agissait plus de trois armées, il n’y avait qu’une armée unique répartie en sept corps, sans compter la garde, et placée sous le commandement de l’empereur ayant le maréchal Lebœuf pour major-général.

Ce qu’il y a de singulier, de caractéristique, c’est que pour improviser une organisation nouvelle, on n’avait sans doute d’autre raison que de multiplier les grands commandemens, de façon à pouvoir satisfaire plus d’ambitions, et qu’au fond, en abandonnant le système du maréchal Niel, on avait l’air d’en retenir quelque chose ou de poursuivre vaguement la même idée dans des conditions plus incohérentes. Ainsi tous ces corps poussés dès le premier jour vers la frontière, le 2e composé des troupes du camp de