Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il existe peut-être des intérêts plus urgens, ils vous demanderont si vous prétendez mettre vos petits calculs en balance avec la cause de Dieu ! Ne leur demandez pas de quels moyens ils disposent. Le ciel ne conspire-t-il pas avec eux ? Il ne s’agit pas, vous diront les plus sages, de déclarer une guerre immédiate ; il s’agit de revendiquer les droits de l’église, d’envoyer au saint-père le témoignage de notre dévoûment, de dénoncer au monde l’oppression dont il est victime. Eh bien ! soit, vous diront les autres avec plus de franchise, il est possible que ce soit la guerre ; mais pensez-vous que le monde laissera faire nos ennemis ? Ignorez-vous que la foi transporte des montagnes, et Dieu a-t-il perdu la faculté de faire des miracles ? Remplissons d’abord notre devoir ; le reste nous sera donné par surcroît.

On sourirait de ces vénérables enfantillages, même en les lisant dans un mandement épiscopal, si l’on ne savait quel triste retentissement ils ont à l’étranger, quels périls ils nous créent, à quel point ils peuvent égarer des imaginations surexcitées par la double exaltation du sentiment patriotique et du sentiment religieux. Il suffit pour se rendre compte du danger de ces manifestes de comparer l’effet d’étonnement qu’ils produisirent à leur première apparition avec l’émotion croissante qu’ils excitent aujourd’hui. Ce résultat est dû non pas seulement aux invectives et aux imprécations qu’ils contiennent à l’adresse des gouvernemens étrangers, mais à l’inquiétude qu’inspire un parti dont on redoute l’activité et dont on voit grandir les forces sans en connaître au juste les ressources et l’organisation.

Profitant avec habileté des réticences du gouvernement pour faire croire à une secrète solidarité qui n’a jamais existé, étendant partout son action d’abord confinée dans quelques cénacles, soutenu par la propagande de la presse, de la chaire, de la tribune, l’ultramontanisme n’a pas tardé à prendre toutes les allures d’un parti de gouvernement. Il a eu son programme, ses représentans attitrés dans l’administration, dans la magistrature, dans l’armée, dans la chambre. Il a trouvé une épée en la personne d’un guerrier plus connu, il est vrai, par sa piété que par ses victoires. Il a eu même son candidat à la royauté. Qu’était-ce en effet que le comte de Chambord dans la pensée de ses partisans les plus sincères et les plus ardens, sinon l’ultramontanisme couronné ?

Il y a sans doute beaucoup de fantasmagorie dans ce dénombrement des forces ultramontaines qu’on ne s’est pas fait faute d’étaler devant nous. Sous ce rapport, l’armée n’est pas sans quelque ressemblante avec son général, M. Du Temple, dont on faisait à l’étranger un vrai foudre de guerre, et dont on sait la triste aventure.