Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/717

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’état de moitié dans leurs bénéfices, on voyait se remuer et manœuvrer les candidatures les plus tenaces. Il y a des hommes qui sont nés directeurs de l’Opéra. Sous tous les régimes et de quelque nom qu’il se nomme : Académie impériale, nationale ou royale de musique, il semble que l’Opéra leur doive appartenir de droit divin. Quand ils n’y sont pas ou n’y sont plus, ils s’imaginent y être encore ou rêvent d’y rentrer, le mal du pays les consume. « Comment peut-on s’arranger pour vivre aux Tuileries lorsqu’on n’y est point né ? » disait Mme de Lamartine. Que faire dans la maison de Corneille et de Molière lorsqu’on y arrive poussé par des courans atmosphériques plutôt que par le goût des lettres ? La maison de Molière n’a pas besoin d’être remeublée à chaque instant. Je sais bien qu’on essaiera d’appeler à soi l’ancienne clientèle, d’éclairer a giorno, et pour elle expressément, les Racine du mardi et les Beaumarchais du jeudi dédiés aux classes patronnesses ; mais ce ne seront là que des illusions fugitives, tandis qu’à l’Opéra fonctionnent les vrais foyers de lumière électrique, se développent les belles perspectives, s’ouvrent à perte de vue les magasins de costumes. « Connais-tu le pays où fleurit l’oranger ? Dahin ! dahin ! quittons bien vite ce sol ingrat, réfractaire aux grandes plantations, où ne poussent que des alexandrins, et retournons vers la patrie absente, au pays enchanté de la cavatine et des pluies de feu ! » Nous autres philosophes, qui ne comprenons guère qu’on puisse avoir l’ambition de gouverner les hommes, nous comprenons encore moins qu’on mette tant d’importance à régner souverainement sur des univers de figurantes et de toiles peintes. Cette fois, paraît-il, l’affaire avait des conséquences solennelles ; ouvrir la nouvelle salle, c’était associer son nom aux destinées d’un monument, inaugurer l’avenir, s’inscrire au livre de l’histoire. L’homme se grandit volontiers à la hauteur du toit qu’il habite ; avoir pour domaine un tel palais, un tel musée, ne sera-ce point à se croire ministre et laisserons-nous passer cette occasion de convoquer par lettres closes les auteurs à la répétition et de ne recevoir nos pensionnaires et nos sujets que sur demandes d’audience ?

Donc les oracles ont parlé. L’ancienne administration est maintenue. Pourquoi ne le serait-elle pas ? Quels avantages apportaient les concurrens, que n’offrit également M. Halanzier, qui avait pour lui les droits et les traités, plus deux ans d’une gestion singulièrement prospère à travers des difficultés inextricables ? On lui reproche de ne point être assez artiste ; mais les autres que nous avons vus à l’œuvre étaient-ils de si grands Mécènes ? Entre tant de directeurs, nous n’en avons connu qu’un seul qui fût capable de s’émouvoir sincèrement pour la question d’art, c’est M. Carvalho, À peine nommé. M. Halanzier vient de se l’adjoindre comme maître de la scène. L’Opéra, du même coup, reconquiert Mme Carvalho, dont le talent sera très utile, surtout dans la campagne qui se prépare à Ventadour. À l’Opéra-Comique, où sa virtuosité favorisait