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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/745

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veille, et puis tu t’es mis à courir vite dans les études forcées, et alors, naturellement occupé de toi seul, tu n’as plus fait grande attention à nous.

— C’est possible, et d’ailleurs, n’ayant encore aucune expérience, je manquais de point de comparaison. À présent je m’éveille de ma lourde personnalité, et je m’aperçois que je ne suis qu’un enfant en présence de deux êtres supérieurs, peut-être un enfant peu digne d’avoir une telle mère et une telle sœur !

— Tu as toujours été un enfant digne de la plus vive tendresse et de la plus haute estime, reprit ma mère ; seulement tu as peut-être été un peu jeune dans ces derniers temps. Nous verrons, nous verrons, je ne juge point encore.

Je reçus une lettre de Vianne ; Manoela était assez calme. Mon départ n’avait point amené de crise, M. Brudnel lui ayant dit que j’étais naturellement impatient d’aller chercher le consentement de ma mère. Elle était partie avec lui pour Montpellier, où ils comptaient s’arrêter quelques jours avant de gagner leur nouvelle résidence. « M. Brudnel, disait Vianne, m’a chargé de retenir leurs appartemens à Montpellier, et je les reverrai. Je pourrai te parler d’eux en connaissance de cause. » Ma mère reçut aussi de sir Richard une lettre qu’elle ne me montra pas ; elle me dit seulement que la malade avait bien supporté le voyage jusqu’à Montpellier, et qu’on s’arrêterait là quelques jours avant de se rapprocher de nous tout à fait. Sir Richard disait avoir réussi à tranquilliser Manoela sur mon compte, « sachant bien que j’étais incapable de manquer à ma parole. »

À ce laconique compte-rendu, ma mère ajouta un commentaire non moins concis. — Ainsi, me dit-elle, sir Richard pense qu’en cas de guérison Manoela doit devenir ta femme.

J’étais irrité contre sir Richard. Je répondis qu’il ne faisait que se rendre à ma propre décision, et que je ne comprenais pas que ma mère eût besoin de l’assentiment d’un étranger pour m’accorder le droit de faire mon devoir.

— Tu me blâmes ? dit ma mère avec un beau sourire fier et doux que je lui connaissais et qui la plaçait au-dessus de tous les soupçons. Tu verras que tu me donneras raison plus tard ; quant à présent, je n’ai rien dit, et c’est toi qui me fais parler. Je t’ai fait connaître l’opinion de M. Brudnel, je n’ai pas donné la mienne.

— Mais c’est la tienne, la tienne seule que je demande !

— Eh bien ! la voici. Tout dépend de la conduite que tiendra M. Brudnel. J’ai la certitude qu’elle sera souverainement désintéressée et qu’il subordonnera toutes ses résolutions à l’état de santé de Manoela. Tu as compromis l’existence de cette personne, c’est à