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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/781

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IV.

Je sais à quelles objections on s’expose en soutenant de nos jours les solutions par la liberté. Pour le moment, le parti le plus vaincu en Europe, c’est le parti libéral. De profonds politiques vous répètent à chaque heure ce que la femme de Job disait à ce saint homme : Adhuc tu permanes in simplicitate tua ? Eh bien ! oui, nous avons cette naïveté ; la liberté pour tous, en ce qui n’est pas contraire au droit naturel, est seule juste, nous ajouterons, seule sage. Dans l’enivrement de la force, on trouve une pareille politique bien timide, c’est le sort du libéralisme d’être sans cesse traité d’impuissant par les vainqueurs du moment ; mais un peu de patience, on y revient toujours. Après la grande lutte qui se prépare, quand les fanatiques des deux côtés auront bien raillé les conseils des libéraux, on finira par trouver qu’il eût mieux valu les suivre. Seule, la liberté de conscience, dans l’état actuel du monde, peut sauver la dignité humaine, empêcher les violences, préserver le principe de l’état de ses propres excès, amener ce véritable progrès des lumières qui écarte les inconvéniens politiques de la superstition.

« Mais, me dira-t-on, vous ne voyez donc pas les dangers que certaines associations religieuses font courir à la raison, à la science, à la patrie, à la liberté ? Pourquoi ne voulez-vous pas que les états extirpent un cancer qui les dévore, se défendent contre un ennemi qui ne s’interdit contre eux aucun moyen d’attaque ? »

Parce que la liberté est un but et non pas un moyen, parce que sacrifier la liberté à une visée politique autre que la liberté elle-même, c’est tomber dans le cercle vicieux si bien exprimé par un poète, propter vitam vivendi perdere causas ; même l’évidence absolue ne doit pas être rendue obligatoire, car ce que l’un appelle évidence, l’autre ne l’appelle pas de ce nom. En pareille matière, il n’y a ni juge, ni criterium. Un homme n’a dans aucun cas le droit d’imposer son opinion spéculative à un autre homme. Une telle tentative implique même contradiction. S’agit-il de conviction, il est clair que la coercition n’y peut rien ; de bonnes preuves appropriées à l’esprit de la personne sont seules efficaces pour cela. S’agit-il d’adhésion extérieure sans conviction, cela est mauvais. Qui atteint-on par ces malencontreuses mesures ? L’incrédule irrespectueux ? Nullement : celui-ci, persuadé de l’absolue vanité des formes religieuses, se conformera, en souriant intérieurement, à ce qu’on demandera de lui : mais l’homme qui ne croit pas assez aux formes religieuses pour les adopter, et qui respecte trop ce qu’elles ont de vénérable pour les profaner, voilà celui que vous frappez. Quoi de plus insultant pour la religion ? Peut-on infliger un opprobre plus