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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/815

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gnons le suivent ; mais, le barreau étant tombé en dehors, les autres durent rester et expier la fuite de leurs compagnons. Ces rigueurs amenaient des représailles. Le camisard Abdias Maurel, dit Catinat, fit des incursions dans le voisinage d’Aigues-Mortes et mit le feu au couvent de Psalmodi, qui n’était plus habité par les moines, devenus chanoines à Aigues-Mortes. Quelque temps après, Abdias Maurel fut pris et brûlé vif. Le maréchal de Villars, comme plus tard Hoche dans la Vendée, apaisa la révolte par des moyens de douceur. Un calme relatif se rétablit, et sous le gouvernement du régent les protestans respirèrent ; mais après la mort de celui-ci le duc de Bourbon, devenu ministre, remit en vigueur, en les aggravant, les anciens édits contre les religionnaires. Malesherbes et Turgot protestèrent en vain. La persécution recommença, et des femmes dont les maris, les pères ou les frères avaient péri dans les supplices, furent entassées dans les deux immenses salles, glaciales en hiver, chaudes en été, de la tour de Constance. La lumière n’y pénètre que par des meurtrières percées dans des murs de 6 mètres d’épaisseur. Les Suisses, les Hollandais s’ingéniaient pour envoyer des secours à ces malheureuses. Vainement en 1749 Frédéric II intercéda pour Anne Soleyrol, prisonnière depuis seize ans ; tout fut inutile. Les victimes de l’intolérance gémissaient toujours dans cette prison. En 1763, Boissy d’Anglas, bien jeune alors, la visita.

« J’ai vu aussi cette tour de Constance, écrivait-il plus tard à ses enfans[1], qui ne peut que vous inspirer un double intérêt, puisque la bisaïeule de votre mère, y ayant été renfermée, étant grosse, comme accusée d’avoir été au prêche, y donna le jour à une fille de laquelle vous descendez. J’avoue que je n’ai rien vu de si propre à inspirer de longs souvenirs. Je n’avais pas encore sept ans. Ma mère m’avait amené chez un de nos parens, qui demeurait à une lieue d’Aigues-Mortes ; elle voulut aller voir les malheureuses victimes d’une religion qui était la nôtre, et elle m’y conduisit avec elle. Il y avait alors plus de vingt-cinq prisonnières. L’une d’elles, amenée dans la tour à l’âge de huit ans, s’y trouvait depuis trente-deux ans. Sa mère y était morte dans ses bras au bout de quelques années de captivité ; elle se nommait Mlle Durand. Elle était sœur d’un ministre du Vivarais arrêté vers 1730 et tué à coups de fusil par les soldats qui le conduisaient, sous le prétexte faux qu’il voulait s’échapper. »

Cet exemple d’enfans enfermés à la tour de Constance n’est pas le seul ; Marie Beraud le fut à l’âge de quatre ans, quoique privée

  1. Boissy d’Anglas, Essai sur la vie, les écrits et les opinions de M. de Malesherbes, t. Ier, note 5.