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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/833

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sur la fin de son séjour ; pourvu qu’on ne m’ôte pas le pays charmant, la rivière d’Allier, mille petits bois, des ruisseaux, des prairies, des moutons, des chèvres, des paysannes qui dansent la bourrée dans les champs, je consens à dire adieu à tout le reste ; le pays seul me guérirait. » Le sentiment est fort, seulement la note n’est pas précisément juste ; le paysage de Vichy n’est pas charmant, comme elle le dit, il est beau, et d’une beauté presque sauvage ; cent ans plus tard, elle aurait su que les paysages ont aussi leur caractère, et elle n’aurait pas pris pour nommer celui-ci la première épithète venue qui est tombée sous sa plume.

La nature du Bourbonnais n’est réellement belle et originale que sur un seul point, Vichy. Sur tous les autres, les provinces voisines font tort à ses meilleurs paysages, dont elles offrent les analogues avec une tout autre perfection ; ici au contraire elle ne ressemble qu’à elle-même et peut soutenir hardiment toute rivalité. C’est ici par exemple, et ici seulement, que la rivière de l’Allier révèle tout son mérite pittoresque. Pauvre rivière d’Allier ! si j’en avais parlé après l’avoir vue à Moulins seulement, je l’aurais sûrement calomniée. Là, je n’avais vu en elle que le plus maussade et le plus ridicule des grands cours d’eau, une manière de continuation et de contrefaçon de la Loire, dont elle imitait la marche lente, monotone et mal réglée, les sécheresses ennuyeuses, les crues fantasques et malfaisantes, les flots jaunâtres et les îlots de sable stérile ; aussi n’étais-je pas loin de partager l’opinion d’un brave paysan du Bourbonnais qui me disait en la regardant : « Il vaudrait beaucoup mieux que cette rivière n’existât pas, car elle ne sert à rien, n’étant pas navigable, et fait beaucoup de mal par ses amas de sables qu’elle jette de tous côtés à tort et à travers. » Je me suis donc abstenu de parler d’elle lorsque j’ai parlé de Moulins, et j’ai bien fait ; je me suis épargné une inexactitude et une injustice. Ce n’est pas cependant qu’à Vichy elle change aucun de ses caractères, c’est bien toujours la même rivière aux eaux trop rares coulant sur un lit trop large entre deux rives trop sèches ; pas plus qu’à Moulins elle n’est navigable, et sa seule utilité est celle qu’un ingénieux gipsy attribuait à ses frères un jour que le célèbre propagandiste anglican George Borrow leur reprochait de vivre inutiles : « Frère, à quoi sert le coucou ? et cependant comme il anime vos bois et vos champs ! » De même l’Allier a pour utilité de traverser des paysages dont il est chargé de compléter et de rehausser la beauté, et il s’acquitte ici de cet office d’une manière admirable. Quel spectacle amusant, varié, plein de surprises, il présente, lorsqu’on le regarde de la montée à la hauteur de Saint-Yorre, et qu’on le voit découpant la superbe plaine en pièces d’un grand parc naturel par les larges méandres de son cours sans loi ! Comme il prolonge le