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de la Morée, à extirper en même temps la piraterie, Capo d’Istria estimait qu’il lui faudrait entretenir 23 000 hommes environ et quinze bâtimens ; la dépense mensuelle serait de 600 000 francs. Ce budget établi, c’était aux puissances protectrices qu’il appartenait d’en fournir la dotation. Le président ne mettait pas en doute les bienveillantes dispositions dont on lui avait donné l’assurance. Il eût vu néanmoins sombrer son autorité naissante sous les inextricables embarras des premiers jours, si, pour se ménager le temps de recevoir les secours qu’il sollicitait, il n’eût pris le parti de recourir à deux expédiens. La philanthropie européenne l’avait rendu dépositaire de petites sommes dont le total s’élevait à près de 300 000 francs. Ces souscriptions devaient être exclusivement appliquées au rachat des esclaves, au soulagement des vieillards, des enfans et des femmes que la guerre avait chassés de leurs foyers. Tout en gémissant de l’impérieuse nécessité à laquelle il obéissait, Capo d’Istria n’hésita pas à leur attribuer une autre destination. Il s’en servit pour « donner quelques instans de vie au service militaire. » Le second expédient devant lequel il ne recula pas davantage ne pouvait lui procurer qu’un surcroît de ressources bien insuffisant. Il possédait quelques propriétés à Corfou ; c’était tout son avoir. Il les engagea comme garantie des pleins pouvoirs dont il avait muni un de ses agens chargé d’aller à Malte acheter à crédit deux cargaisons de blé.

Tels furent les débuts de l’homme éminent que la Russie avait cédé à la Grèce et qui, surpris au milieu de sa tâche, vit tout à coup se dresser contre lui la féodalité grecque avec ses ardeurs jalouses et ses haines implacables.

II.

Les événemens dont je viens d’esquisser le récit nous ont conduits au mois d’avril 1828. Il nous faut maintenant revenir en arrière, si nous voulons voir se dérouler sur un terrain plus vaste les conséquences fatales, inévitables, de la journée du 20 octobre 1827. Pendant qu’on se battait à Navarin, on était dans l’attente en Europe. « Vous avez dû, écrivait le comte de Chabrol à l’amiral de Rigny, recevoir dans les premiers jours de septembre des dépêches des ambassadeurs de Constantinople, mais ces dépêches vous seront probablement arrivées trop tard pour que vous ayez pu être en mesure d’empêcher le débarquement des Égyptiens. Qu’aurez-vous fait depuis ? C’est ce que nous ignorons encore. » Malte eut la primeur de la nouvelle. Le brick de commerce anglais Mary-Ann était parti de ce port le 11 octobre 1827 sous l’escorte du brick de guerre le Gannet. On le vit rentrer le 29. Son capitaine déclara que le 20,