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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/111

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LE MAJOR FRANS.

elle pas d’avoir repoussé son intervention dans la partie de cartes ? lui déplaisait-il de se montrer à moi avec un vilain châle gris et un chapeau de jardin très défraîchi ? Quoi qu’il en soit, elle prit son parti et vint bravement à ma rencontre.

— Sommes-nous de nouveau bons amis ? lui dis-je en prenant la main qu’elle me tendait et en lui souhaitant le bonjour ; vous m’avez bien un peu boudé hier soir.

— Non, mon cousin, dit-elle, je ne vous boudais pas, j’étais chagrine. Je comprenais bien que vous m’en vouliez, que mes manières vous paraissaient inconvenantes ; mais, voyez-vous, je ne puis supporter la vue d’aucune bassesse. Je craignais que, pour flatter mon grand-père en le prenant par son faible, vous ne fussiez sa dupe, et… tenez, je flairais un guet-apens.

— Allons donc ! Quand même vos soupçons eussent été fondés, ne sentez-vous pas qu’il était au-dessous de moi de demander grâce ?

— C’est vrai ; pourtant ne vous ai-je pas dit d’avance que j’avais de mauvaises manières ?

— Pas précisément, Frances ; vous avez plutôt un certain besoin de domination…

— Peut-être ; mais enfin je voulais venir à votre aide…

— C’est cela, en disposant de moi comme d’un objet à vous appartenant. Comment vous, si fière, pouvez-vous admettre qu’un homme consente à être le protégé d’une femme ?

— Yous avez encore raison, un tel homme… ressemblerait trop à beaucoup d’autres. Ceci reconnu, avouez que vous avez pris de bien haut ma pauvre petite intervention.

— Pardonnez-moi, Frances ; notre amitié est une plante encore délicate qu’il faut cultiver avec soin sans lui permettre le moindre mauvais pli.

— Si vous prenez cette amitié tellement au sérieux, dit-elle en rougissant un peu, je vous accorde que vous étiez dans votre droit. Vous reconnaîtrez cette concession de ma part en me promettant que vous allez oublier toutes mes taquineries d’hier soir, sans arrière-pensée, n’est-ce pas ?

J’étais de nouveau sous le charme. — Sans autre arrière-pensée, m’écriai-je tout transporté, que celle de tout ce qu’il y a d’aimable en vous, — et je lui pris une main que je baisai tendrement.

— Léopold, Léopold ! que faites-vous ? me dit-elle sourdement en retirant brusquement sa main, oubliez-vous à qui vous tenez un tel discours, oubliez-vous que je suis… le major Frans ?

— Je ne veux plus rien savoir du major Frans, lui répondis-je, je ne connais plus que ma cousine Frances Mordaunt, — et je lui pris de nouveau une main que je passai sous mon bras. Elle me laissa faire avec une singulière expression d’abattement. Je venais