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avoir là quelque terrible malentendu que je vous prie, que je vous conjure de m’aider à dissiper. Si mon père a une pareille idée de moi, je ne m’étonne plus qu’il préfère me croire mort, je ne m’étonne plus que vous me méprisiez. Pourtant, je vous le jure sur l’âme de ma mère, Frances, je suis innocent.

— Mais enfm ces traites ont été présentées au baron von Zwenken, nous les avons payées, parce qu’autrement il aurait fallu affronter un procès scandaleux. L’arrêt n’aurait pu vous frapper, puisque vous étiez en Amérique ; mais mon grand-père aurait dû donner sa démission.

— Frances, vous avez du bon sens. Comment aurais-je osé commettre un pareil méfait juste au moment où je me cachais dans les environs de Z…, au moment où vous étiez assez généreuse pour me procurer les fonds d’une entreprise en Amérique, au moment où mon plus vif désir était de m’exiler en emportant le pardon de mon père ? Montrez-les-moi, ces traites maudites, je me fais fort de vous démontrer mon innocence.

— Elles sont sous clé, dans le secrétaire du baron. Je ne puis donc vous les présenter.

— Mon Dieu ! si je les voyais, je vous prouverais bien qu’avec ma mauvaise main je ne saurais imiter une écriture fme et régulière comme celle de mon père. Qu’en dites-vous, monsieur Léopold ?

— Je vous crois, lui dis-je.

— Ah ! cela me fait du bien, reprit-il avec des larmes dans les yeux ; mais voyons, mon père, qui passait ses congés dans les places d’eaux, ne peut-il avoir fait connaissance de quelque misérable capable de lui jouer uu pareil tour ?

— Depuis quatre ans, le général n’est pas sorti de chez lui, sauf un hiver qu’il a passé à Arnhem.

— Et ce Rolf ?

— Non, Rudolf, ne le soupçonnez pas ; il est mal élevé, mais c’est un honnête homme, qui s’arracherait les yeux pour éviter un chagrin à son vieux général.

— Alors le diable s’en est mêlé. Maintenant prenez ces billets, Frances : ils sont authentiques, je vous l’atteste ; prenez-les pour me montrer que vous me croyez.

— Eh bien ! je vous crois ; cependant vous en avez besoin vousmême.

— Soyez tranquille. J’ai un bon état : premier sujet de voltige au Great equestrian circus de master Stonehorse de Baltimore, deux cents dollars d’appointemens par mois, n’est-ce pas superbe ? Vous voyez que je n’ai pas cessé d’aimer les chevaux. Ils m’ont coûté de belles sommes dans le temps ; aujourd’hui ils m’en rapportent.