Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
306
REVUE DES DEUX MONDES.

— Mon grand-père a été malade, femme Jool.

— Bon ! maladie de gens riches, n’y a pas de mal à ça ; mais le jeune homme que voici, pas malade, lui, hé ? Je vous assure que tout le village en cause.

— De quoi, femme Jool ? dit Frances avec hauteur.

— De ce que vous négligez l’enfant donc !

— Écoutez, femme Jool, ni vous ni le village n’avez à vous mêler de mes affaires.

— Hum ! le mois est passé, dans une semaine le second arrive, et quand Trineke s’ennuie, cela n’est pas bon pour le mioche.

— Demain vous aurez votre argent ; mais je vous déclare que si, pour une semaine de retard, l’enfant est maltraité par vous ou votre fille, il ne restera pas chez vous. Demain ou après-demain j’irai voir moi-même, comptez là-dessus.

— Ah ! vous nous retireriez le mioche ? Essayez une fois ! Nous verrons qui sera le plus fort. Voilà ce que c’est que de se donner du mal pour les gens du haut.

— Vous ne vous êtes donné aucun mal, femme Jool, vous avez simplement voulu tirer parti du malheur de votre fille.

— C’est que je venais vous avenir qu’il nous faut des bas et des souliers, autrement il courra les pieds nus dans des sabots, comme un petit paysan,

— J’y pourvoirai, femme Jool ; mais maintenant passez votre chemin, voici le sentier qui mène à votre village.

— Vous êtes donc bien pressée que je m’en aille ?

— Nous sommes ici sur le domaine du Werve, entendez-vous ? Allez-vous-en, ou bien…

— Seigneur de ma vie ! est-on pressé de me voir partir, et cela pour… Bien, bien, je décampe. Je crois vraiment que ce beau mirliflor me ferait un mauvais parti. — Et elle s’en alla tout en grommelant par le sentier qu’on lui avait indiqué.

Frances se retourna de mon côté. — Eh bien ! Léopold, me dit-elle, vous êtes servi à souhait ; la voilà, la puissance qui s’oppose à mon bonheur.

— Je comprends, lui dis-je, atterré de la découverte que je croyais avoir faite et malheureux au-delà de toute expression, je comprends, Frances, vous êtes trop loyale pour associer un homme à votre vie chargée d’un pareil fardeau ; mais pourquoi ne m’avoir pas plus tôt confié ce terrible secret ? Je ferais l’impossible pour vous sauver.

— Mais, Léopold, à quoi pensez-vous donc ? me dit-elle toute rouge d’émotion, vous ne m’accusez pourtant pas ?.. Vous comprenez, n’est-ce pas, que mon honneur n’a rien à faire là dedans,