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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/315

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LE MAJOR FRANS.

quand même cela me coûterait mon repos. — Je lui pris les deux mains. — Vous persistez ? Il se pourrait… que je fusse encore heureuse !

— Assez, Frances, vous êtes à moi, je ne vous quitte plus, à moi pour la vie !

— Pour la vie, répéta-t-elle après moi en pâlissant au point que j’eus peur d’une défaillance. Léopold, oui, je suis à vous, j’ai confiance en vous, je vous aime comme jamais,… jamais je n’ai aimé, dit-elle tout bas.

— Enfin ! m’écriai-je, — et je scellai nos sermens d’un long baiser.

Inutile de dire que nous arrivâmes trop tard pour le second déjeuner ; il est vrai que nous n’avions pas faim. Nous étions revenus lentement, presque toujours en silence, et même nous avions ralenti le pas à mesure que nous nous rapprochions du château. Frances surtout semblait répugner à y rentrer. — Je voudrais, dit-elle, m’asseoir encore un peu avec vous sous ce grand chêne, il me semble que je vais retrouver toutes mes infortunes, je ne voudrais pas me séparer si vite de mon bonheur… Léopold, je voudrais pouvoir m’enfuir avec vous, et que personne ne pût se mettre entre nous deux.

— Nous nous enfuirons, chère adorée ; mais il nous faut au préalable remplir quelques formalités qui nous conféreront le droit d’aller partout la tête haute.

— Et puis, tous ces importans qui viendront, tout confits en sourires, nous assommer de leurs félicitations, tandis qu’en arrière ils se moqueront de celui qui ose épouser le major Frans !

— Oh ! voilà une supposition qui mérite que je vous en punisse.

— Et elle dut consentir à payer l’amende sous forme d’un second baiser.

— Je ne comprends pas comment on peut traiter à la légère une chose aussi sérieuse que le mariage. La femme surtout ne fait-elle pas un sacrifice incommensurable ? Ne sacrifîe-t-elle pas son nom, sa volonté, sa personne ? Tenez, avant de vous connaître, je considérais un tel sacrifice comme impossible.

— Et maintenant ? lui dis-je en m’agenouillant sur la mousse pour mieux voir ses beaux yeux, qui étincelaient de bonheur et de tendresse.

— Maintenant je n’ai plus tant d’objections, répondit-elle avec un doux sourire ; mais, je vous en prie, Léopold, ne restez plus dans cette posture devant moi. Vous commettez là un mensonge en action, car je prévois que désormais c’est vous qui serez mon seigneur et maître… Mais allons, mon ami, l’alarme doit être au château, on ne sait pas ce que nous pouvons être devenus.