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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/325

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LE MAJOR FRANS.

— J’ai mieux fait, j’ai averti le cousin Léopold que vous alliez commettre une sottise irréparable.

— Ah ! c’est ainsi qu’on agit envers moi ? Eh bien ! je ne me soucie plus de personne, je vais trouver moi-même M. Stonehorse, je suis libre et…

— Vous n’en ferez rien, lui dis-je avec autorité, voyant qu’elle se levait pour partir. Le général est mort, Rudolf est mort civilement, je suis désormais votre plus proche parent devant la loi, et je ne souffrirai pas qu’à la fleur de l’âge vous vous jetiez dans un de ces abîmes d’où l’on ne ressort plus.

— Mais que dois-je donc faire, encore une fois ? dit-elle avec désespoir, mais pourtant avec un certain accent de soumission.

— Retourner simplement au Werve, où vous trouverez un ami qui a tout préparé pour vous recevoir.

— Un ami ? fit-elle étonnée.

— Oui, Rolf, qui y reste jusqu’à nouvel ordre. Et ne craignez pas d’y être importunée par ma présence, je pars pour un long voyage.

Cette déclaration parut lui faire une grande impression. Elle me regarda d’un air étrange, et me dit d’une voix qui décelait autre chose que la colère ou la rancune : — En vérité, vous allez voyager, Léopold ?.. Eh bien ! je… je reste au Werve. Adieu.

Et elle s’enfuit précipitamment en fermant la porte derrière elle. Bientôt nous entendîmes piaffer le cheval qui l’avait amenée. — Ne devrais-je pas la suivre jusqu’au château ? me dit Rudolf.

— Non, cette défiance l’offenserait.

— C’est qu’elle est si téméraire à cheval ! Elle a été tout récemment victime d’un accident.

— C’est vrai, je n’y pensais plus. Au nom du ciel, suivez-la ; mais si vous alliez être reconnu ?

— N’ayez nulle crainte, je suis trop bien déguisé. Tel que vous me voyez, je suis retourné plus d’une fois au Werve pendant la dernière maladie de mon père, j’ai pu lui serrer la main, et il m’a donné cet anneau à ses armes. Par prudence, je ne le porte pas au doigt, mais comme cela, attaché à un cordon sur mon cœur, et Frances elle-même me l’a permis, elle a eu recours à moi dans ces jours d’épreuve. Quand la kermesse de L… sera finie, nous quitterons ce pays-ci, et je n’y remettrai plus les pieds, ajouta-t-il en montant à cheval et en me serrant la main pour la dernière fois.

Nous n’étions pas au bout de nos surprises. De retour à Z…, je trouvai Overberg qui m’attendait à l’hôtel. Il venait de recevoir d’Angleterre un paquet à l’adresse de Frances, que Frits n’avait pas voulu accepter, mais qu’il ne savait pas comment remettre à la destinataire. Je lui assurai que Mlle Mordaunt était rentrée au château.