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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/103

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à son honnête besogne; mais Tristan n’était pas content, il regrettait son oiseau idéal. Pour nous consoler, quand nous fûmes dans l’Allée des soupirs, un piqueur posté au fond du parc se mit tout à coup à sonner du cor. Les notes lointaines et retentissantes montaient lentement jusque vers notre allée, où il faisait nuit noire ; dans les interstices des hêtres, nous voyions les lumières de Montrot et du Val-Bruant glisser comme des feux follets; la meute du prince se mit à répondre bruyamment aux fanfares du cor, et ce fut aux sons de cette musique de chasse que nous fîmes notre rentrée chez nos hôtesses.

Un bon souper nous attendait dans la salle griment éclairée. Un perdreau rôti à point et bourré de truffes bourguignonnes exhalait un fumet affriolant, et sur la nappe blanche un buisson d’écrevisses de l’Aujon jetait sa note cramoisie. Et puis les deux excellentes femmes paraissaient si joyeuses de notre joie, si heureuses d’avoir à choyer deux grands enfans dans leur logis où les éclats de rire résonnaient si rarement! Les portraits d’ancêtres en semblaient eux-mêmes tout réjouis. L’un d’eux surtout me souriait d’une façon charmante, chaque fois que je soulevais mon verre plein de vieux bourgogne. C’était un joli pastel aux tons un peu effacés, un portrait de jeune fille de dix-huit ans, vêtue à la mode des dernières années du règne de Louis XVI. Son corsage bleu pâle, à demi échancré et orné d’un bouton de rose, laissait voir un cou blanc dont les lignes délicates étaient coupées par un ruban de velours noué en guise de collier; les lèvres souriaient ingénument, les yeux naïfs et un peu étonnés souriaient aussi; dans les cheveux crêpés, sans poudre, une rose s’épanouissait. Comme mes regards se reportaient curieusement vers cette jeune figure, la vieille dame me dit : — C’était une sœur de ma mère; elle était fiancée à un de ses cousins, lieutenant dans l’armée de la Moselle, qui mourut d’une mauvaise fièvre à Thionville.

— Il l’aimait bien ! reprit sa fille avec un soupir, nous avons là-haut une lettre de lui qui me fait toujours venir les larmes aux yeux quand je la relis.

— Voulez-vous nous la laisser voir? demanda Tristan.

— Certainement, je suis sûre qu’elle vous intéressera...

Quand, après souper, nous fûmes sur le point de monter dans notre chambre, elle tira du secrétaire un petit portefeuille de satin fané qu’elle remit à Tristan et que celui-ci s’empressa de visiter dès que nous fûmes seuls.

— J’aime, dit-il en étalant les papiers jaunis sur la table, à remuer ces vieilles cendres d’autrefois. C’est comme si je respirais un parfum du temps passé.