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— introduisant dans son palais une épouse nouvelle; seulement alors comment s’expliquer la présence de cette poésie, fort originale, mais sans intention religieuse, au milieu d’un recueil exclusivement religieux? Il est à présumer que lors de l’admission de ce chant dans la collection sacrée on l’allégorisait déjà, comme on allégorisa aussi le Cantique des cantiques, avec le même arbitraire et le même succès.

Cette unique exception ne saurait donc ôter à l’ensemble du recueil son caractère foncièrement religieux. C’est au point que, malgré la beauté supérieure de beaucoup des morceaux qui le composent, la lecture suivie des psaumes engendre aisément une impression de monotonie, même quand on les lit dans l’original, à plus forte raison quand on ne peut les connaître qu’à travers le voile toujours si peu flatteur des traductions. Qu’on se représente les imprécations de Camille ou les chœurs d’Esther et d’Athalie traduits en prose étrangère, et l’on n’aura qu’une faible idée de tout ce que les psaumes hébreux perdent en saveur et en originalité par une transposition en langue moderne. Le grec et surtout le latin, du moins pour notre oreille française, ont su leur conserver un certain charme que nos idiomes modernes leur refusent, mais non sans en altérer la physionomie. Ainsi les psaumes, selon la Vulgate, fournissent un certain nombre de passages souvent cités dans la littérature religieuse et même profane. C’est par exemple de profundis clamavi ad te, Domine (des abîmes profonds j’ai crié vers toi, Seigneur), ou bien, pour décrire le prompt évanouissement de la prospérité des impies, transivi; ecce, non erant (j’ai passé, ils n’étaient plus), erudimini qui judicatis terram (instruisez-vous, vous qui jugez la terre), et d’autres citations passées en quelque sorte dans le domaine public. Elles respirent le plus souvent une certaine mélancolie vague et passive, qui ne manque assurément pas de majesté, mais qui tend à donner de la poésie des psaumes une idée peu conforme à la vivacité et à la précision colorée du texte primitif. Ajoutons que les traducteurs, jusque dans ces derniers temps, n’ont pas même essayé d’indiquer le rhythme cadencé de l’original par des coupures correspondantes, et qu’on ne se douterait jamais en lisant leurs versions qu’ils ont travaillé sur des textes en vers. Une autre source d’erreurs est venue de l’idée préconçue que les psalmistes hébreux, en leur qualité de poètes bibliques, professaient des croyances, sinon tout à fait chrétiennes, du moins en harmonie préétablie avec la religion évangélique. On a donc commis