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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/197

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de l’intolérance chrétienne. Il n’est question que de l’extermination des ennemis, du devoir de les pulvériser au nom de l’Éternel du plaisir de leur rendre avec usure le mal qu’ils ont pu faire. La belle élégie qui fait le psaume 137, où le psalmiste dépeint avec une mélancolie navrante les enfans d’Israël pleurant la patrie perdue n’ayant plus de cœur à chanter leurs hymnes et ayant suspendu leurs lyres aux saules des rivières, cette touchante expression du patriotisme le plus tendre finit par ce vœu de vengeance atroce : « Babylone, dévastatrice, salut à celui qui prendra tes petits enfans et les fracassera contre les pierres ! »

Du reste, il ne faut pas perdre de vue que, si des passages comme ceux-là réservent de pénibles surprises aux lecteurs qui s’attendaient à trouver dans ces pièces juives un écho anticipé de la morale évangélique, c’est à l’adoption du recueil des psaumes comme livre usuel de chants sacrés par l’église chrétienne tout entière, c’est aux innombrables contre-sens consécutifs de cette adoption qu’il faut s’en prendre avant tout. Les psalmistes chantent ce qu’ils ont dans l’âme, mais dans l’idée que le peuple tout entier chante avec eux. L’individualisme national est encore plus absolu que l’individualisme personnel. Or l’ennemi de la nation et celui de Dieu, c’était tout un. L’oppression de la race élue n’était pas seulement une iniquité, c’était aussi un sacrilège. L’excuse de ce peuple, c’est que, forcé de comparer sa foi religieuse à celle de ses voisins idolâtres, il lui était impossible de ne pas s’enorgueillir de sa supériorité. A l’époque surtout de la composition de la plupart des psaumes, ce sentiment devait être très vif. Il n’en avait pas toujours été de même. Il y eut un temps où les enfans d’Israël adoraient leur dieu Jahveh de préférence à tout autre, parce qu’il était le dieu national, le protecteur naturel, le défenseur invincible du peuple qu’il s’était choisi; mais ce culte exclusif rendu à un dieu jaloux n’annulait pas du tout la croyance à l’existence d’autres divinités, puissantes aussi et redoutables. S’il plaisait à ce dieu peu communicatif, n’aimant pas à se montrer, et que d’ailleurs nul œil humain n’avait jamais pu découvrir au-dessus du firmament, s’il lui plaisait qu’on l’adorât sans le représenter sous une forme visible, rien n’empêchait de penser que d’autres dieux, autrement disposés, consentaient à animer leurs images, soit en s’y enfermant, soit en les dotant de vertus magiques. L’idolâtrie vivifie toujours jusqu’à un certain point, sinon tout à fait, l’icône ou la statue. Aussi l’Israélite des anciens temps est-il plus craintif qu’audacieux en présence des symboles des cultes étrangers. Quant au contraire il a grandi en connaissance du monde, en raison, en réflexion, en faculté d’analyse, quand son monothéisme a pris claire conscience de lui-même, quand, ayant vu de près les blocs taillés par le ciseau