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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/232

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livre est écrit en style d’almanach, qu’on n’y retrouve pas sa brillante imagination d’autrefois ni les délicatesses accoutumées de sa plume. L’histoire de Waldfried mérite cependant d’être lue. Le héros de ce véridique et instructif roman est un libéral ou un démocrate de 1848, qui, lui aussi, s’arrange très bien de tout ce qui arrive. Il a usé son chapeau à force d’y porter la main pour saluer tous les événemens qui passent; il bénit à tout coup la Providence, représentée par un grand homme, d’avoir réglé les choses pour le mieux et offert une grive à un peuple qui ne lui demandait qu’un merle. « Comme Guillaume Tell, dit-il, nous avons longtemps caché dans notre sein la flèche de la révolution ; nous avons enfin tiré, et nous avons manqué le but. » Waldfried est heureux de son malheur. Il souhaitait la liberté, il a obtenu en échange un bien plus précieux, il a vu les canons prussiens « délivrer le monde de l’esclavage de la phrase française, » il les a vus sauver à Sedan « les lumières du siècle, la civilisation, la justice, les bonnes mœurs, l’honneur et la probité. » Peu de jours avant la rentrée triomphale des troupes à Berlin, il a eu la joie « de serrer la main de son empereur allemand dans une chaude et vivante étreinte, » et quand l’empereur s’est retiré, il l’a suivi des yeux, admirant « sa noble et majestueuse démarche, » et l’empereur s’est retourné, et lui a fait un signe de tête. — Un pan du ciel, s’écrie-t-il, est descendu sur l’Allemagne, elle a vécu pendant un jour de la vie des dieux! En peignant son démocrate dégrisé et content sous les traits d’un pied-plat sentimental et lyrique, M. Auerbach a-t-il eu quelque malicieuse intention? A-t-il obéi au secret désir de ridiculiser un peu ce que son Waldfried se donne l’air d’admirer? Aurait-il gardé quelques ressentimens des froideurs qu’on lui témoigna jadis à la cour de Prusse? A-t-il voulu venger son almanach méconnu? Nous ne le pensons pas; il a fait œuvre non de poète satirique, mais de photographe. Il avait rencontré un Waldfried, il l’a peint tel qu’il l’avait vu, car il y a des Waldfried dans ce monde; ils ont reçu du ciel la mission de tout approuver, et si demain leur gouvernement commettait un abus de pouvoir ou une criante injustice, ils approuveraient encore. Avec cela, ils se donnent pour des esprits libres, pour des sages, et leur sagesse consiste à dire que le château de monseigneur le baron est le plus beau des châteaux, et que Mme la baronne est la meilleure des baronnes possibles. Ce n’est pas là précisément la philosophie de Kant ou de Fichte, ou même de Hegel, et s’il se trouve que monseigneur le baron est un homme d’un goût délicat, il a peu de sympathie pour ces faux philosophes, il les envoie dîner à l’office.

Pour démontrer que l’Allemagne n’a que de bonnes intentions à l’égard de son voisin de l’ouest, l’auteur de l’intéressante brochure Après la guerre allègue que M. de Bismarck s’est abstenu de s’ingérer dans les affaires intérieures de la France, qu’il l’a laissée libre de se donner le gouvernement qui lui convenait, qu’il n’a rien demandé à ce gouvernement